Merveilles et enchantements des montagnes : tout ses trésors

La richesse découlant de la montagne

Les montagnes françaises ne sont pas seulement des paysages majestueux ; elles sont habitées par les croyances et les légendes. Des cloches mystérieuses de Becca-France, aux apparitions de Saint Michel dans les montagnes d’Arrée, ces sommets résonnent des histoires des peuples qui y vivent. Dans ces récits, les hauteurs deviennent le théâtre de combats entre forces célestes et infernales, de manifestations surnaturelles et d’épreuves extraordinaires pour les héros et héroïnes. Elles incarnent ainsi la rencontre du naturel et du sacré, où chaque sommet garde mémoire des anciennes divinités, des cultes oubliés et des croyances populaires.

Dans de nombreuses régions, de la vallée d’Aoste aux sommets du Ventoux et du Semnoz, les montagnes sont vivantes et personnifiées. Les paysans leur attribuent des caractères, des colères et des gestes, les comparant parfois à des géants ou à des êtres sensibles. On raconte que certains sommet portent les résidences du Soleil, des Vents ou même du Diable, tandis que des dictons et proverbes populaires décrivent leurs “manteaux” de nuages ou de brouillards. Ces récits montrent comment l’homme a toujours tenté de dialoguer avec la montagne, de prévoir ses colères et d’en comprendre les mystères.

Dans les contes et légendes populaires, atteindre le sommet d’une montagne est souvent le passage obligé des héros et héroïnes. Qu’il s’agisse de conquérir l’Oiseau de Vérité, de délivrer des captifs ou de cueillir des plantes magiques, les personnages doivent affronter des obstacles extraordinaires, des montagnes mouvantes ou enchantées, et parfois même l’épreuve de l’amour et de la mort. Ces histoires révèlent la montagne comme un espace d’initiation et de dépassement, où se conjuguent courage, magie et poésie, et où l’homme découvre les forces mystérieuses qui relient la terre au ciel.

Dans les régions montagneuses, les eaux dormantes — lacs, étangs et gouffres perchés sur les hauteurs — sont souvent entourées de mystère. Ces lieux paisibles, presque irréels, ont nourri d’innombrables légendes qui racontent leur origine, leurs secrets, et les croyances qui s’y rattachent. Certaines traditions vont jusqu’à interdire formellement de troubler la surface de ces eaux, sous peine d’attirer sur soi de terribles malheurs.

L’un des récits les plus célèbres évoque l’étang de Tabe, appelé localement le Gouffre. Situé au cœur des Pyrénées, son accès difficile a sans doute alimenté bien des histoires. Les habitants racontent que le Pic de Saint-Barthélemy, qui l’entoure en forme d’entonnoir, serait retenu par d’énormes chaînes et de lourds anneaux. Selon la croyance, si quelqu’un ose jeter une pierre dans l’eau, l’étang entre en fureur et libère la foudre.

Non loin de là, sur une montagne voisine de Villefranche, trois gouffres sont réputés hantés par le diable lui-même. Il suffirait, dit-on, d’y lancer un simple caillou pour déclencher l’orage. Ces récits, transmis de génération en génération, rappellent à quel point la nature, dans l’imaginaire populaire, peut devenir le théâtre d’une puissance mystérieuse — à la fois fascinante et redoutable.

Au cœur des Vosges, certaines traditions racontent que les montagnes ne sont pas aussi solides qu’elles en ont l’air. Sous leurs flancs sommeilleraient des masses d’eau colossales, prêtes à se libérer à tout moment. Dans le Val de Galilée, les habitants murmurent que la montagne d’Ormont renferme dans ses entrailles une quantité d’eau si immense qu’elle pourrait, si elle venait à jaillir, engloutir toute la vallée.

Selon cette même croyance, une messe solennelle serait célébrée chaque année, le 4 novembre, dans la chapelle de l’Hôpital Saint-Charles. Son but ? Empêcher la catastrophe, ou du moins retenir les eaux enfouies qui menacent la région. La tradition veut que cette célébration protège la vallée d’un déluge annoncé depuis des siècles.

Lorsque l’orage gronde et que les rivières grossissent, les vieilles femmes du pays font le signe de croix. Elles craignent que le cercle de fer forgé jadis par la puissance des fées, et censé maintenir la montagne d’Ormont fermée, ne se brise. Car si cette barrière venait à céder, les eaux déchaînées se précipiteraient sur Saint-Dié, engloutissant la vieille cité vosgienne sous un torrent venu du cœur même de la montagne.

Les montagnes, majestueuses et mystérieuses, ont toujours nourri l’imaginaire populaire. Comme les forêts profondes ou les lacs sans fond, elles cacheraient dans leurs entrailles des trésors fabuleux, gardés par des esprits ou des créatures magiques. Ces richesses, dit-on, ne se révèlent qu’à ceux qui savent attendre le bon moment… et résister à la peur.

En Suisse romande, la légende raconte que la Dent de Vaulion abrite de l’or. Mais ces trésors sont sous la surveillance du Grobelh Ion, un esprit étrange qui traverse la vallée du lac de Joux chaque veille de Noël. Il est escorté d’êtres fantastiques, montés sur des sangliers dont la queue sert de bride. Dans les Pyrénées, chaque trésor est gardé par une chèvre rouge surnaturelle. Trois fois par an, elle doit exposer ces richesses aux rayons du soleil. Un berger, un jour, vit briller un monceau d’or près d’un lac où veillait la mystérieuse chèvre. Il courut chercher un compagnon, mais à leur retour, il ne restait qu’un épais brouillard.

Dans le Gard, à Landun, c’est lors de la fête de la Saint-Jean que la montagne laisse s’échapper la fameuse Chèvre d’Or, guide vers les trésors cachés. Les récits sont nombreux. Près de Salvan, sur le sentier menant à Fenestral, un trésor n’apparaîtrait qu’une fois tous les cent ans, à minuit. Un homme y rencontra une belle demoiselle, peignant ses cheveux avec un peigne d’or. Elle se disait “âme en peine” et promit richesse et repos éternel en échange de trois baisers. Mais à chaque étreinte, la jeune femme prenait une forme plus effrayante : d’abord un bouc, puis un serpent monstrueux. Terrifié, l’homme s’enfuit, perdant à jamais le trésor. Plus loin, près du pâturage de Tenneverges, une grosse pierre noire cacherait aussi des richesses. Il suffirait de la soulever avec un bâton, mais gare à celui qui crierait : la peur referme aussitôt la pierre, emprisonnant à nouveau l’or et le secret.

Les montagnes du Gard et de Savoie regorgent aussi de légendes similaires. Au Pic de Saint-Loup, la veille de la Saint-Jean, une porte magique s’ouvre à minuit : trois galeries mènent à des salles pleines de monnaie, d’argent, puis d’or pur. Mais à minuit sonnant, la porte se referme, emprisonnant les imprudents. À Poisy, près d’Annecy, on dit que si l’on dépose la nuit de Noël un pot en terre sur les ruines d’un château de fées, on le retrouve au lever du soleil rempli de pièces d’or.

Mais la convoitise se paye cher. Les anciens racontent qu’il est dangereux d’essayer de voler les trésors enfouis. Les gnomes qui les gardent font écrouler les rochers sur les curieux, ou les précipitent dans les glaciers. Sur la montagne d’Arrée, à Commana, le gardien du trésor venait s’asseoir, chaque nuit de pleine lune, sur le plus haut rocher, guettant les voyageurs perdus. Et malheur à celui qui croisait son regard : l’or qu’il cherchait devenait aussitôt sa malédiction.

La tradition des cloches mystérieuses, ces sons qui semblent résonner sous terre, est très rare dans les régions montagneuses. On ne connaît qu’un seul exemple relevé dans ces contrées : aux environs de Becca-France, dans la vallée d’Aoste. Là-bas, les habitants racontent que, les dimanches, on peut entendre, sur les décombres de Thora, des sons de cloches résonner comme si l’on y célébrait encore les offices divins. Une légende d’engloutissement, semblable à celles des villes lacustres, semble avoir laissé son empreinte dans ce lieu.

Plusieurs sommets des chaînes secondaires, autrefois peut-être lieux de cultes païens, portent aujourd’hui le nom de Mont Saint-Michel. Les sanctuaires érigés sur ces hauteurs en l’honneur de l’archange chasseur de démons auraient eu pour but de faire oublier les anciennes divinités vénérées sur ces sites sacrés.

En Bretagne, la tradition rapporte que Saint Michel vient parfois visiter la chapelle qui lui est dédiée au sommet du mont Saint-Michel de Brasparts, dans les montagnes d’Arrée.
Selon une légende recueillie à la fin du XVIIIe siècle, on pouvait, lors des belles nuits d’été, voir l’archange déployer ses ailes d’or et d’azur avant de disparaître dans les airs.

Les apparitions de l’archange seraient aujourd’hui motivées par un combat spirituel. Quand les « conjurés », précipités sous forme de chiens démoniaques dans le marais du Yeun Elez, se mettent à hurler la nuit, Saint Michel abaisse alors son glaive flamboyant vers les eaux sombres. Aussitôt, le tumulte s’apaise.

D’autres récits racontent que le saint descend affronter le démon lui-même. Sa venue est annoncée par des signes terrifiants : le ciel s’assombrit, la grêle ravage les moissons, et le tonnerre gronde avec violence. Sur le sommet de la montagne, le diable et l’archange livrent un duel céleste. Quand Saint Michel triomphe, on le voit parcourir son domaine en conjurant les orages, ou bien se tenir debout sur le clocher de sa chapelle. Dans sa main, un immense dévidoir : des milliers de démons y sont enroulés. L’archange le tourne à toute vitesse pour étourdir les esprits maléfiques, qui hurlent sans pouvoir s’en échapper. Puis, dans un geste solennel, il les disperse vers les quatre points cardinaux, avant de les précipiter dans les fondrières du Yeun Elez. Enfin, ses ailes d’or se déploient, et Saint Michel s’élève vers le ciel.

Ces récits, mêlant croyances chrétiennes et héritages païens, rappellent la profonde connexion entre les habitants et leurs montagnes. Les cloches mystérieuses de Becca-France, tout comme les combats de Saint Michel dans les montagnes d’Arrée, sont autant de voix du passé qui résonnent encore dans la mémoire des peuples.

Sur le Mont-du-Ciel, dans le Doubs, se dérouleraient encore, selon la tradition, des combats entre les puissances célestes et les forces infernales. C’est depuis la plus haute cime que, dit-on, les âmes des justes s’élèvent vers le ciel.

Une bergère raconta un jour que, gardant son troupeau non loin de là, elle assista à une scène étrange :

« Le jour de la mort d’une personne de ma connaissance, j’ai vu, à travers le brouillard, deux fantômes — l’un ressemblait à un ange, l’autre était sûrement le diable. Ils se sont affrontés, et l’ange a triomphé. »

Ainsi, même les pâturages paisibles deviennent, dans l’imaginaire populaire, le théâtre des luttes spirituelles entre le bien et le mal.

Les montagnes ont toujours été perçues comme des lieux de passage entre la terre et le ciel. Selon d’anciennes croyances recueillies dans plusieurs régions, on peut y observer des phénomènes miraculeux. On raconte qu’au matin des grandes fêtes, notamment celle de la Trinité, trois soleils apparaissent à l’horizon. Les habitants du Thillot, dans les Vosges, affirment même que les chrétiens en état de grâce peuvent, depuis le ballon de Servance, contempler à l’aube les trois personnes de la Trinité dans toute leur gloire.

Dans le Dauphiné, une autre légende veut que la lune habite le sommet d’une montagne, et que les Vents, eux aussi personnifiés, y aient souvent leur demeure. Ces images poétiques traduisent la vénération ancestrale des hauteurs, lieux où le monde visible semble toucher l’invisible.

Beaucoup de montagnes demeurent entourées d’une crainte respectueuse, mais le culte ancien qui leur était rendu semble avoir disparu. Seule subsiste la trace d’une offrande symbolique : autrefois, on réservait une part de laitage aux servants et aux fées censées habiter ces lieux.

Les rondes et les danses nocturnes, où la tradition place aujourd’hui sorciers et démons, seraient peut-être le souvenir lointain de rites cultuels pratiqués sur ces hauts lieux sacrés. Une coutume du XIXe siècle dans les Hautes-Alpes en conserverait encore l’écho : le jour de la Saint-Jean, bergers et villageois se rassemblaient au sommet des montagnes pastorales pour danser en cercle sous le ciel d’été.

Jusqu’au début du XIXe siècle, dans la région de Beurizot (Côte-d’Or), les enfants allumaient, à la tombée du jour, des feux de joie sur la cime de la montagne voisine.
Ces feux étaient allumés lors de dates symboliques : le 1er janvier, le jour des Rois et le premier dimanche de Carême. Autour des flammes, les enfants dansaient, perpétuant sans le savoir un héritage ancestral, celui des feux rituels célébrant la renaissance du temps et de la lumière.

Des combats d’anges et de démons aux visions de soleils multiples, les montagnes françaises demeurent des lieux de rencontre entre les puissances invisibles. Elles gardent le souvenir de cultes oubliés, transformés au fil du temps en légendes chrétiennes ou en traditions populaires. Sur ces cimes, l’homme a toujours cherché à comprendre le mystère du ciel.

Dans plusieurs régions de France, le peuple attribue aux montagnes une âme, une volonté propre — une forme d’animisme qui les rapproche des géants ou des êtres vivants.
En Béarn, on compare volontiers les hommes de haute stature au Pic d’Ossau :

“Lou pic d’Ossau” — un homme grand et puissant.
Et lorsque la neige tombe à gros flocons, les paysans de la plaine disent :
“Ossau que plume las auques” — “Ossau plume les oies.”

Autrement dit, le Pic d’Ossau fait neiger, comme une divinité qui “plumerait les oies” du ciel. De même, en Savoie, les habitants affirment que le Semnoz a mauvais caractère, car vents et orages semblent toujours partir de son sommet. Une personnification relevée par Arnold Van Gennep, symbole d’une montagne capricieuse et vivante.

Une légende bretonne évoque des montagnes fabuleuses situées hors du monde réel, qui se heurtent entre elles comme deux béliers en colère. Un voyageur en route vers le Paradis voit surgir à chaque extrémité de l’horizon deux montagnes géantes. Elles s’élancent l’une contre l’autre, se percutent avec une telle force que l’air s’obscurcit d’une grêle de pierres.

Alors qu’il les croit réduites en poussière, le voyageur les voit se dresser à nouveau, prêtes à recommencer leur affrontement. Lorsqu’il raconte cette vision à un prêtre, celui-ci lui répond :

“Ce sont les gens mécontents de leur sort et jaloux de celui des autres. Ils se brisent en cherchant à briser.”

Une métaphore saisissante de l’orgueil et de la jalousie humaine, incarnés par la fureur des montagnes.

Dans les contes populaires, les sommets s’animent et se parlent entre eux. Deux pics de la Montagne Noire échangent ce dialogue, transmis en patois local :

Noro dis à Mount-Aut :
“Presto-me toun brisaud.”

Mount-Aut respond :
“Quand tu as fre, ieù n’ai pas caul.”

Traduction :

“Le Noro dit au Montaut :
— Prête-moi ton sarrau.
— Quand tu as froid, moi, je n’ai pas chaud.”

Ce court échange illustre la proximité poétique entre les montagnards et leurs sommets, perçus comme voisins vivants capables de se taquiner au gré des saisons.

Dans le sud de la France, les paysans associent volontiers les brumes et les nuages des montagnes à des vêtements : un chapeau, un manteau ou un voile. De ces images sont nés de nombreux dictons météorologiques.

En Provence, on dit :

“Quand lou Ventour a soun capeù,
E Magalouno soun manteù,
Bouié, destallo et vai-t’en-leù.”

Traduction :

“Quand le Ventoux a son chapeau
Et Maguelonne son manteau,
Bouvier, dételle et rentre chez toi.”

Ces expressions, très vivantes, se retrouvent dans de nombreuses régions : Auvergne, Limousin, Languedoc et Aude.
Dans le Maine, une version locale s’applique même à des collines modestes :

“Quand Rochard a son chapiau
Et Montaigu son mantiau,
I’ tombe de l’iau.”

Autrement dit : si les montagnes portent leurs nuages, la pluie n’est pas loin.

Dans plusieurs récits populaires, ceux qui entreprennent un voyage vers un monde céleste doivent traverser des montagnes fantastiques et presque infranchissables.

Un conte raconte l’histoire d’un petit pâtre chargé de porter une lettre au Paradis. Pour y parvenir, il doit gravir une montagne abrupte et envahie de broussailles. Sur le chemin, il croise des enfants innombrables, semblables à une fourmilière humaine, qui montent sans relâche. Arrivés presque au sommet, ils retombent sans cesse, une poignée d’herbe à la main. Ce sont, dit-on, les enfants morts sans baptême : ils entendent les chants des anges, mais ne peuvent entrer au Paradis, faute d’avoir reçu l’eau bénite.

Dans une autre version, un petit berger parvient seul au sommet. En se retournant, il aperçoit des garçons qui peinent à gravir la montagne : ce sont ceux morts avant leur première communion. Ils ne réussiront à atteindre le sommet que lorsque Jésus-Christ frappera trois fois dans ses mains pour les appeler à lui.

Ces récits, dictons et légendes révèlent une poésie ancienne : celle d’un monde où les montagnes respirent, parlent, s’affrontent et jugent. De l’Ossau au Ventoux, du Béarn à la Bretagne, les sommets deviennent miroirs du ciel et de l’âme humaine, à la fois majestueux et mystérieux.

Dans de nombreux contes populaires, les héros et héroïnes doivent gravir de hautes montagnes pour atteindre leur but : conquérir un oiseau merveilleux, délivrer un captif ou rompre un enchantement. Ces ascensions sont semées d’obstacles : flancs escarpés, froid glacial, neige et grêle. Ainsi, dans l’histoire de l’Oiseau de Vérité (Gabriel Milin et Amable-Emmanuel Troude, Le Conteur breton), la fille du roi de France tente de gravir une montagne colossale. Si elle faiblit, elle sera changée en pierre, comme tous ceux qui ont échoué avant elle.

Dans un conte basque, l’héroïne doit monter sans jamais se retourner, malgré les cris terrifiants qui résonnent derrière elle. Dans un récit de marins, l’oiseau parleur se trouve au sommet d’une montagne de serpents — une vision de cauchemar où la nature devient gardienne du mystère.

Les montagnes abritent aussi les retrouvailles amoureuses et les quêtes initiatiques.
Dans le conte de la femme du roi des Corbeaux, c’est encore au sommet d’une montagne que l’épouse vient libérer son mari prisonnier.

Dans le célèbre conte de Marie-Catherine d’Aulnoy, L’Oiseau bleu, la princesse Florine veut retrouver le roi Charmant. Mais une montagne d’ivoire se dresse devant elle, si glissante qu’elle finit par s’effondrer de désespoir à son pied. Alors, elle se souvient des œufs magiques donnés par une fée. En brisant l’un d’eux, elle y découvre de petits crampons d’or qu’elle fixe à ses mains et à ses pieds — et parvient enfin au sommet, où elle retrouve son bien-aimé.

Une légende normande, rendue célèbre par le Lai des Deux Amants (attribué à Marie de France), raconte l’histoire d’un roi qui refusait de se séparer de sa fille.
Il promit sa main à celui qui réussirait à la porter jusqu’au sommet d’une montagne, sans jamais s’arrêter. Un jeune homme, conseillé par la princesse elle-même, obtint de sa tante un breuvage magique pour décupler ses forces. Mais, malgré les supplications de sa bien-aimée, il refusa d’en boire une goutte durant l’épreuve. Épuisé, il s’effondra au bord du succès — mort dans les bras de la princesse, qui mourut à son tour de chagrin. Les deux corps furent ensevelis ensemble au sommet, et la montagne fut baptisée le Mont des Deux Amants. Un nom que la poésie médiévale a conservé jusqu’à nos jours.

Près du Monte Incudine, en Corse, une jeune fille allait chercher du bois lorsqu’elle entendit une voix mystérieuse l’appeler depuis la hauteur. À plusieurs reprises, la voix l’invita à monter plus haut. Finalement, elle céda et atteignit le sommet, où se dressait un château étrange. Un homme l’y accueillit et lui annonça qu’elle ne pourrait revenir chez elle qu’après avoir usé sept paires de souliers de fer. Sinon, elle serait changée en statue. Ici, la montagne n’est plus un refuge : elle devient un piège enchanté, symbole de la tentation et de la perte.

Certaines montagnes sont le domaine du Soleil, des Vents ou du Diable.C’est là que le démon aurait son château — et que doivent se rendre ceux à qui il a jadis rendu service, à la date convenue.En Picardie, on la nomme la Montagne Noire ; en Haute-Bretagne, la Montagne Verte ou la Montagne d’Or. Ces lieux d’échanges mystiques entre humains et puissances surnaturelles reflètent l’ambivalence du sommet : à la fois lieu de lumière et d’épreuve.

Dans les contes, les montagnes peuvent aussi naître par enchantement. Elles surgissent soudain pour protéger un fugitif ou ralentir un ogre. Quand la Perle frappe le sol avec sa baguette magique, une montagne s’élève aussitôt entre elle et son poursuivant aux bottes de sept lieues.

Dans d’autres récits, les filles du diable qui fuient leur père jettent sur la route une étrille ou une éponge, qui se transforment en montagnes infranchissables. En Haute-Bretagne, c’est parfois la jeune fille elle-même qui se change en montagne — si haute et si escarpée que le diable ne peut la franchir.

Certaines herbes miraculeuses poussent seulement sur les cimes. Dans un conte de Haute-Bretagne, l’herbe à trois coutures, dotée d’un grand pouvoir de guérison, pousse au sommet du mont Blanc. Mais elle est gardée par un chat-huant, et d’innombrables obstacles empêchent les chercheurs d’y parvenir. Le sommet devient ici un lieu sacré, où nature et magie s’unissent.

Dans d’autres récits, le héros ne doit pas gravir les montagnes, mais les aplanir. La reine aux pieds d’argent ne permet au filleul du roi d’Angleterre d’épouser sa fille qu’à la condition de niveler une haute montagne — une tâche impossible qu’il accomplit grâce à des géants reconnaissants. La princesse de Tronkolaine, quant à elle, n’accepte de suivre son sauveur que lorsqu’il réussit, avec l’aide du roi des éperviers, à anéantir une montagne gigantesque et à rendre le sol aussi plat qu’une plaine.

Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paul Sébillot

Arnold Van Gennep

L’Oiseau de Vérité, Le Conteur breton, Gabriel Milin et Amable-Emmanuel Troude

Lai des Deux Amants, Poésies de Marie de France, Marie de France