L’Essence de la nuit : son origine et ses particularités

Pinède près du lac de montagne la nuit

La nuit a inquiété les hommes au point de devenir un véritable personnage dans les récits folkloriques. Dans les campagnes de France et d’ailleurs, elle n’est pas qu’une absence de lumière, mais un temps où le voile entre les mondes s’amincit, ouvrant la porte aux esprits, aux fées, au diable et à toutes sortes de créatures invisibles. Entre contes transmis au coin du feu et superstitions héritées du Moyen Âge, l’imaginaire populaire fait de l’obscurité un espace de danger, de mystère et parfois même de grâce.

Nombre de récits folkloriques se déroulent sous la lune ou « cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Les ombres de la nuit deviennent alors le théâtre de rencontres étranges et d’événements surnaturels. Dans l’œuvre de Paul Sébillot, la nuit apparaît régulièrement comme un élément central, façonnant et amplifiant les histoires transmises de génération en génération.

En Basse-Bretagne, on raconte que la nuit aurait été créée par le Diable, comme contrepartie du jour façonné par Dieu. Cette vision manichéenne donne à l’obscurité une dimension inquiétante, presque malveillante.

Croquemitaine maléfique

En Haute-Bretagne, la nuit prend la forme d’un Croquemitaine servant à intimider les enfants. Les parents lançaient des avertissements comme :

  • « La Nuit va t’emporter ! »
  • « Le Bonhomme la Nuit va venir te quérir. »

Dans l’Ille-et-Vilaine, on parle du bonhomme Basour (Basse-heure, c’est-à-dire tard) qui vient chercher les retardataires.

À Matignon (Côtes-du-Nord), la nuit avait même une résidence assignée, quelque part vers le couchant. Les enfants craignaient particulièrement la Grande Nuit de Pléboulle, une commune située à l’ouest. Dans leur imagination, si le couvre-feu familial n’était pas respecté, ils pouvaient apercevoir entre ciel et terre la silhouette d’une gigantesque femme noire prête à les emporter.

Madame la Nuit

Dans le Morbihan, lorsqu’un enfant refusait d’aller se coucher, on l’avertissait que Madame la Nuit viendrait le prendre. On la décrivait comme une grande femme toute noire. Aux marmots récalcitrants qui refusaient de se débarbouiller, on disait :

« Tu auras la figure noire comme celle de la Nuit. »

À Saint-Brieuc, Madame la Nuit avait sa demeure : une caverne béante formée par de grands rochers. Les petits garçons, bravaches mais effrayés, y lançaient furtivement un caillou avant de s’enfuir en courant.

Si les adultes ne personnifiaient pas la nuit, ils n’en étaient pas moins convaincus qu’elle cachait des dangers d’origine surnaturelle. Aussi, pour se protéger, ils multipliaient les préservatifs religieux, les observances et les conjurations. Ces gestes et rituels visaient à mettre les hommes et leurs maisons à l’abri de la malveillance ou de la colère des esprits des ténèbres.

Dans de nombreuses régions de France, les sons mystérieux entendus la nuit — cris, chants ou bruits inexpliqués — sont perçus comme des signes annonciateurs de malheurs imminents. Ces présages, liés à la Mort, font partie des croyances populaires profondément enracinées.

Une croyance presque générale veut que les hurlements des chiens pendant la nuit soient l’annonce de la Mort s’approchant du foyer.

Chien de nuit
  • En Corse, on prête aux chiens le rôle de messagers : ils aboient deux fois si la Mort menace une femme, trois fois si c’est un homme ; un grand bruit entendu la nuit est interprété comme un signe que quelqu’un du foyer va bientôt mourir.
  • En Basse-Bretagne et en Béarn, le chant du coq avant minuit est un mauvais présage, annonçant un grand accident, un malheur ou même un décès.
  • Dans le Mentonnais, tous les oiseaux qui chantent à minuit portent la même funeste annonce.

Dans de nombreux territoires, les bruits nocturnes inexpliqués, tels que des coups sourds ou des soupirs étouffés, sont attribués à l’âme d’un défunt qui cherche à attirer l’attention des vivants. Ces manifestations sonores sont interprétées comme une demande de prières pour aider le repos de ce défunt.

Tout comme les phases de la lune ou l’état des marées, les heures de la nuit sont depuis longtemps considérées comme influençant la destinée des nouveau-nés. Dans plusieurs régions françaises, des croyances attribuent à certaines heures de naissance des sorts plus ou moins favorables.

Horloge affichant 23h50

Dans les Vosges et en Beauce, l’enfant qui naît entre 23h et minuit est censé ne jamais avoir de chance. Ce pronostic est encore plus sévère si la naissance intervient un vendredi.
En Gironde, la naissance à minuit évoque un sort tragique : celui qui vient au monde à cette heure, « comme le Christ », est voué à une vie malheureuse.

Dans le Cantal, l’enfant né entre 1h et minuit est prédit de « tourner mal », et dans la même région girondine, un bébé né à 1h du matin est censé connaître des malheurs tout au long de sa vie.