Les Hantises de la maison : lutins et diables facétieux

Illustration 3D d’une chambre avec cheminée et feu dans une ancienne maison médiévale. — Image de GoodLightHunting

Certaines croyances présentent la nuit comme le domaine des âmes errantes ou du diable, rôdant autour des foyers pour y entrer à la moindre négligence. On raconte que les revenants pouvaient revenir sous forme de feux follets si l’on ne leur offrait pas de l’eau pour se purifier, tandis que le diable guettait miroirs et trépieds pour s’inviter dans les maisons. Mais la nuit n’était pas seulement menaçante : elle pouvait aussi accueillir des êtres bienveillants, comme la Tante Arie en Franche-Comté ou des fées descendues par la cheminée pour récompenser les enfants sages. Cette ambivalence reflète à la fois la peur et l’espérance que suscitait l’obscurité dans les mentalités rurales.

Enfin, les légendes accordent une grande importance aux signes mystérieux entendus dans le silence nocturne : aboiements, chants d’oiseaux ou bruits inexpliqués étaient autant de présages annonçant malheurs ou décès. Pour se protéger, les familles recouraient à des rituels précis, allant du sel répandu devant les étables aux couteaux posés sous les oreillers, en passant par les graines offertes aux lutins pour les occuper. Ces pratiques, héritées d’un mélange de traditions chrétiennes et païennes, témoignent d’un rapport intime entre l’homme, son foyer et les forces invisibles. La nuit, bien plus qu’un simple moment du jour, devenait ainsi un territoire sacré où prudence et respect s’imposaient.

À la fin du XVIIIe siècle, aux environs de Lesneven (Finistère), on respectait scrupuleusement cette interdiction. On l’appelait Scuba an anaoun, littéralement « le balayement des morts ». Selon la croyance, ce geste éloignait le bonheur de la maison et dérangeait les âmes des trépassés.

Ne pas balayer au soir

On racontait que le mouvement d’un balai blessait et chassait les esprits qui se promenaient dans le foyer une fois la nuit tombée. Par précaution, on rangeait donc soigneusement l’outil dès le coucher du soleil.

Cette idée n’était pas propre à la Bretagne : dans d’autres régions, le balayage nocturne restait proscrit pour des raisons similaires. Partout, la nuit était considérée comme le temps des morts, et chaque geste à l’intérieur du logis pouvait, croyait-on, attirer ou repousser leur présence.

Dans la partie bretonnante des Côtes-du-Nord, on croit encore que les âmes des morts reviennent visiter leur ancienne maison à la nuit tombée. Balayer à ce moment risquerait de les chasser avec la poussière. Et si le vent ramenait cette poussière, il ne faudrait surtout pas la rejeter dehors une deuxième fois, sous peine d’être réveillé toute la nuit par les défunts.

Selon Habasquet (Notions historiques sur les Côtes-du-Nord), la veille de la fête des morts, cette interdiction visait à ne pas chasser les âmes du purgatoire. On disait aussi qu’en balayant le soir, on faisait fuir la Sainte Vierge, venue voir dans quelles maisons elle pourrait laisser entrer ses âmes préférées.

Dans certaines régions, le danger du balayage nocturne ne visait pas les esprits, mais les vivants. En Corse, cela annonçait la mort d’un membre de la famille. Dans le Loir-et-Cher, le maître de maison mourrait sûrement si l’on balayait avant le lever ou après le coucher du soleil — une croyance particulièrement vive lors de la fête des Rameaux.

Dans plusieurs zones de la péninsule armoricaine, le foyer avait un rôle sacré la nuit.

  • En Bretagne bretonnante, on laissait toujours un peu de feu sous la cendre pour accueillir un défunt de passage.
  • Dans le nord du Finistère, il ne fallait pas recouvrir entièrement la braise pour que le lutin Bouffon Noz (« farceur de nuit ») puisse venir s’y réchauffer.
Âtre flamboyant

En Haute-Bretagne, éteindre l’âtre signifiait éloigner la Sainte Vierge, qui avait coutume de se chauffer aux foyers encore allumés. On entretenait aussi toute la nuit le feu qui avait servi à cuire la bouillie d’un nouveau-né, afin qu’elle puisse venir y préparer celle du petit Jésus. Si un enfant tombait malade dans une maison où l’on n’avait pas respecté cette coutume, on y voyait une punition.

En Ille-et-Vilaine, laisser un trépied sur le foyer éteint faisait souffrir les âmes du purgatoire. En Basse-Bretagne, on craignait que ces âmes s’assoient par mégarde sur un fer encore chaud, comme ce revenant de Gouarec qui se brûla sur un trépied rougi par une domestique malveillante.

Dans le nord du Finistère, on plaçait autrefois un galet ou une pierre plate dans un coin du foyer, destiné au Bouffon Noz. Mais lorsqu’une servante la fit chauffer à blanc, le lutin se brûla et ne revint jamais.

En Anjou, une vieille recommandation veut que l’on laisse chaque soir un seau plein d’eau dans la cuisine. La raison ? Si une personne de la maison venait à mourir durant la nuit, son âme pourrait s’y laver avant de quitter les lieux. Selon la croyance, la ménagère qui oublierait cette précaution s’exposerait à voir revenir, sous forme de feu follet, l’âme pécheresse qui n’aurait pu se purifier.

Paul Sébillot, grand collecteur de traditions populaires, précise qu’il n’a pas retrouvé cette coutume dans les autres provinces françaises. Pourtant, elle perdure dans la Vallaise, une région francophone d’Italie, où l’on conseille encore aujourd’hui de ne jamais se coucher sans avoir laissé un peu d’eau propre pour le besoin des âmes.

Il est rare que l’on tente d’éloigner les revenants de la maison. Pourtant, dans le pays de Tréguier, une méthode traditionnelle servait à chasser les esprits… mais aussi les lutins. Avant de se coucher, on plaçait sur la table de petits tas de sable. Si les revenants y trouvaient leur compte, on ne les revoyait jamais. Cette superstition, rapportée à Paul Sébillot en 1884 par G. Le Calvez, observateur attentif aujourd’hui disparu, illustre une approche pragmatique : occuper les esprits pour mieux s’en défaire.

Tas de sable pour les esprits

Plus fréquemment, on cherchait à honorer les défunts, notamment à la Toussaint.

  • En Périgord, en Normandie et en Provence, on leur servait un véritable repas.
  • En Basse-Bretagne, on disposait sur la table de la cuisine du lait caillé et des crêpes.
  • En Corse, on plaçait à la porte d’entrée un vase rempli d’eau.

Ces gestes, bien que moins pratiqués aujourd’hui, témoignent d’une époque où le passage des morts dans le foyer faisait partie du cycle naturel de l’année.

En pays bretonnant, on entretenait toute la nuit le feu de l’âtre avec une bûche spéciale appelée Kef ann Anaon, “la bûche des défunts”.

Dans certains villages des Hautes-Vosges, on croyait aussi que les morts venaient se réchauffer. Pendant la semaine de la Toussaint, on laissait exprès du feu dans le foyer, et parfois même on découvrait les lits tout en ouvrant les fenêtres… afin que les trépassés puissent, le temps d’une nuit, retrouver leur ancienne couche.

Les gestes de respect envers les défunts ne relèvent pas uniquement du souvenir affectueux des êtres aimés. Dans de nombreuses traditions, ils s’enracinent surtout dans la peur du ressentiment des morts.

Les légendes populaires décrivent souvent les trépassés comme jaloux des vivants, prompts à se venger si on leur manque d’égards. Ainsi, ignorer certaines coutumes pouvait attirer leur rancune ou leurs malédictions.

Dès leur achèvement, les maisons faisaient l’objet de cérémonies protectrices, qu’elles soient catholiques (eau bénite, cierges de la Chandeleur, branches bénies des Rameaux) ou païennes (objets apotropaïques, statuettes, images).

Pourtant, même ainsi fortifiées, elles n’étaient pas totalement à l’abri des incursions du diable ou des mauvais esprits, surtout à la tombée de la nuit. La tradition veut qu’ils guettent la moindre négligence pour pénétrer à l’intérieur.

Au XVe siècle, certaines maladresses étaient réputées ouvrir la porte aux forces obscures :

« Qui laisse de nuit une selle ou un trepié les piez dessus, autant et aussi longuement est l’ennemi à cheval dessus la maison… autant de gannes dyables sont assis dessus chascun pied. »

En Haute-Bretagne, on dit encore aujourd’hui que si un trépied repose les pattes en l’air, le diable est déjà dans la maison.

Une autre erreur était de laisser une petite selle, les quatre pieds en l’air, durant la nuit :

« Autant est l’ennemi à cheval sur la maison… qui s’en va couchier sans remuer le siège sur quoy on s’est deschaussié, il est en dangier d’estre ceste nuit chevauchié de la quauquemare. »

La nuit, dans l’imaginaire populaire, n’est pas seulement le royaume des fantômes et des âmes errantes. C’est aussi le terrain de chasse du diable, prêt à se manifester à la moindre imprudence.

À Saint-Brieuc, une croyance tenace prévient les femmes :

« Si une femme se regarde dans son miroir après le soleil couché, elle voit le diable derrière elle, par-dessus son épaule. »

Cette superstition remonte loin. Dans les Evangiles des Quenouilles, on lisait déjà :

« Qui se mire en un mirouer, de nuit, il y veoit le mauvais et si n’en embelira jà pourtant, ains en deviendra plus lait. »

En clair : se mirer la nuit n’apporte ni beauté… ni tranquillité d’esprit.

Plusieurs récits rapportent que, dans des époques encore proches de la nôtre, le diable s’invitait dans les fermes et auberges où l’on dansait après minuit. Dans les Pyrénées et la Gascogne, on raconte qu’il peut aussi venir chez ceux qui parlent trop de lui une fois le soleil couché.

Les légendes s’accordent : le diable ne dort jamais. En Basse-Bretagne, dans la partie française des Côtes-du-Nord, mais aussi en Picardie, on dit que la nuit vaut pour lui autant qu’un jour.
Il n’est pas rare qu’il vienne réclamer l’exécution d’un pacte bien plus tôt que prévu, expliquant à sa victime :

« Le jour va pour nous de six heures du matin à six heures du soir ; et de six heures du soir à six heures du matin, il y a encore un jour. »

Bien des dupes se sont fait piéger, oubliant de stipuler que leurs années seraient calculées sur des jours de vingt-quatre heures, et non sur des cycles doublés.

Si la nuit est parfois associée aux âmes errantes ou au diable, certaines légendes racontent qu’elle abrite aussi des visiteurs nocturnes bien plus gracieux. Ces créatures, véritables génies familiers, se montrent bienveillantes envers les foyers qu’elles apprécient.

Dans les traditions orales, les servants et les follets mettent souvent tout en ordre dans les maisons où ils se sentent chez eux. Reconnaissants, les habitants ne cherchent pas à les chasser. Au contraire, ils leur offrent de petits présents en remerciement de leurs bons offices.

Dans l’est de la France, une figure légendaire revient régulièrement : la tante Arie.
Les Francs-Comtois la décrivent comme une fée charmante, au cœur aimant et à la main bienfaisante. Elle ne descendait de l’empyrée qu’à certaines époques de l’année, pour visiter :

  • les cabanes hospitalières,
  • celles où il y avait quelque bien à accomplir.

Elle offrait des présents aux enfants dociles et studieux, détestait la paresse, mais faisait preuve d’une indulgence naturelle. Ainsi, si elle surprenait une jeune fille avec un peu de filasse restée suspendue à sa quenouille au moment du Carnaval, elle se contentait de la mêler en guise d’avertissement.

En Basse-Bretagne, une croyance ancienne raconte qu’une très vieille fée descendait par la cheminée la veille de la Saint-André. Son but : voir si, à l’approche de minuit, la ménagère filait encore. Si tel était le cas, elle ne manquait pas de la gourmander.

Dans plusieurs contes, les fées empruntent aussi cette voie pour soigner les enfants ou porter secours aux personnes affligées. Mais dans la tradition d’Essé (Ille-et-Vilaine), la cheminée servait parfois à des desseins plus inquiétants : c’est par là que les fées descendaient pour dérob­er les enfants.

Dans les croyances populaires, la nuit est aussi le moment où certains esprits malicieux, souvent de petite taille, viennent troubler le sommeil et la tranquillité des hommes et des animaux.

Parmi ces visiteurs nocturnes, certains ne pénètrent dans les maisons que pour y exercer leur malfaisance ou leurs espiègleries :

  • Des lutins s’installent sur la poitrine des dormeurs, provoquant oppression et cauchemars.
  • D’autres s’amusent à tresser la crinière des chevaux pour en faire des étriers ou des balançoires, ou encore les tourmentent si intensément qu’au matin, les bêtes ruissellent de sueur.

Face à ces nuisances, les paysans utilisent divers moyens pour chasser ces esprits malveillants :

  • L’eau bénite,
  • Les talismans catholiques,
  • Et toute une série de rituels et précautions hérités des traditions anciennes.

Ces pratiques montrent à quel point la nuit est considérée comme un moment sensible où le monde visible et invisible se côtoient, nécessitant vigilance et respect pour protéger le foyer et ses habitants.

Le moyen le plus courant pour repousser les lutins consiste à placer dans un récipient en équilibre des pois, du millet ou de la cendre. Le lutin, arrivant à l’improviste, le heurte et le renverse. Obligé de ramasser une à une ces innombrables graines, il se lasse vite de cette tâche et ne revient plus.

En Auvergne, on déposait simplement des graines de lin dans un coin. Le drac, autre esprit malicieux, préférait partir plutôt que de les compter. Dans cette même région, on étendait des cendres sur le passage du Betsoutsou, qui essayait en vain d’en dénombrer la quantité.

Parfois, des méthodes plus radicales étaient employées. Le Faudeur de la Haute-Bretagne cesse d’oppresser celui qui le menace avec un couteau. Dans la Beauce, on se protégeait du Sotré-cauchemar ou du lutin fouleur en ouvrant un couteau ou en croisant les bras.

Au XVe siècle, on utilisait aussi la méthode de « vestant sa chemise ce devant derrière » pour se préserver du luiton. Une autre vieille pratique disait :

« Qui doute la cauquemare qu’elle ne viengue de nuit à son lit, il convient mettre une sellette de bois de chesne devant un bon feu, et se elle venue se siet dessus, jamais de là ne se porra lever qu’il ne soit cler jour. »

En Wallonie, pour repousser ces esprits, il fallait déposer ses souliers avec les talons dirigés vers le lit, ou bien un soulier dans un sens, l’autre dans le sens inverse. La croyance voulait que la mark ne puisse monter sur le lit qu’après avoir chaussé les souliers, et que ce placement inhabituel les en empêchait.

Le métal, et notamment la lame du couteau, était autrefois considéré comme aussi efficace que son tranchant pour repousser les esprits. En Lorraine, le sel était répandu à la porte des étables, le premier mai, avant le lever du soleil, pour empêcher le Sotré de venir traire les vaches.

Quant aux portes, elles doivent rester closes la nuit, non pour éviter les voleurs, mais pour empêcher l’entrée des esprits malfaisants. En Gironde, ouvrir une porte à minuit, surtout après un décès dans la famille, exposait à un malheur. À l’île dOuessant, on évitait de passer par-dessous sa porte un tison, car le lutin revenant lannig an aod attraperait d’abord le bras, puis tout le corps, entraînant la disparition de l’imprudent.

Dans l’Aude, pour protéger la maison des visites de la Masque (ou masco), un esprit qui prend forme humaine pendant la journée, on place un vase rempli d’eau près du trou de la serrure ou de la chatière, avec une vieille culotte suspendue au-dessus. Celle-ci se noie généralement dans l’eau. Si malgré tout elle pénètre dans la maison, on la conjure avec ces mots :

« Pét surfelho, passo la chiminiero »

Elle s’envole alors par le tuyau de la cheminée.

En pays de Liège, un silex naturellement troué, accroché à un clou au-dessus de la porte d’entrée, empêche le cauchemar de pénétrer. En Savoie, pour chasser l’esprit follet, on plaçait un verre de montre au trou de la serrure par lequel il s’introduisait. En passant, le follet faisait tomber le verre, et mécontent de l’avoir cassé, ne revenait plus jamais.