Les fées montagnardes : leurs relations avec le sol et avec les Hommes

Fées des montagnes avec un âne, Midjourney

Sur les hauteurs silencieuses, dans le souffle du vent et la brume des vallées, les fées peuplent depuis des siècles l’imaginaire des montagnes. Tantôt bienveillantes, tantôt redoutées, elles apparaissent aux lisières des forêts, près des sources ou sur les sommets isolés, entre ciel et terre. Dans les traditions orales des campagnes françaises, suisses ou savoyardes, ces créatures mystérieuses incarnent l’âme du paysage : elles protègent les pâtres, guident les voyageurs ou punissent ceux qui profanent les lieux sacrés.

Mais toutes ne sont pas douces et lumineuses. Dans plusieurs récits, les fées se mêlent aux sorcières et aux esprits de la nuit, assistant aux sabbats sur les hauts plateaux, dansant sous la lune au sommet des monts. Dans l’Aveyron, elles se rendaient au Puech de los Foxilieros, accompagnées de sorcières chevauchant des manches à balai. Là, sous la présidence d’un bouc fabuleux, elles s’adonnaient à des rondes effrénées, avant de disparaître dans les bois. Ailleurs, dans les Ardennes ou le pays de Liège, on croyait encore voir ces dames surnaturelles danser sur les crêtes, au clair de lune, dans un éclat de rires et d’éclairs.

Ces légendes témoignent d’un monde ancien où la nature était vivante et enchantée, peuplée de forces invisibles et de présences féminines fascinantes. Les fées des montagnes, à la fois magiciennes et gardiennes, rappellent l’équilibre fragile entre l’homme et le monde sauvage. Elles demeurent aujourd’hui les symboles poétiques d’un imaginaire collectif, où le merveilleux, la foi et la peur du mystère s’entrelacent au rythme des vents et des cimes.

Dans les Alpes, les fées alpestres protègent jalousement les plantes et fleurs des sommets. Selon la tradition, un jeune homme s’aventura un jour sur un rocher escarpé surplombant un abîme, pour cueillir des fleurs aux clochettes blanches. Soudain, il se retrouva face à une jeune femme magnifique, vêtue d’une robe de neige et couronnée d’un feuillage de sapin. Elle l’avertit :

« Ne touche pas à ces fleurs, elles sont à Dieu ; Dieu seul peut les cueillir. »

Mais le jeune homme méprisa cet avertissement et s’empara du bouquet. Immédiatement, le ciel s’assombrit, le sol sembla se dérober sous ses pieds, et il roula dans l’abîme, meurtri et ensanglanté. Depuis ce jour, raconte la légende, la rose des Alpes est rouge, couleur du sang versé par ce téméraire, rappelant à tous le respect dû aux forces de la montagne et aux fées protectrices.

Les fées montagnardes, à l’image des génies bienfaisants des traditions locales, ont longtemps été considérées comme les protectrices des sommets et des vallées. Jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle, les anciens racontaient que leurs grands-pères les avaient vues : des créatures gracieuses, vêtues de blanc et couronnées de fleurs, capables de soulager les maux et de faire croître les plantes salutaires.

Dans les Pyrénées, certaines fées auraient persisté sur les cimes et hautes vallées. On dit qu’au sommet du mont de Cagire, elles font naître des plantes aux vertus curatives. À Saint-Bertrand, au bord de la fontaine qui porte leur nom, on peut les entendre la nuit chanter d’une voix douce et plaintive. Elles entrent parfois dans le pic de Bergons, où elles transforment le lin grossier déposé à l’entrée de leur grotte en vêtements de soie et de prix.

Pour qui recherche richesses et trésors, il faut s’adresser à la fée d’Escout. Sous un chêne millénaire, s’ouvre un antre profond : quiconque dépose un vase près de ce lieu se voit parfois le voir rempli de métaux précieux, mais uniquement si la demande est formulée en termes qui plaisent à la fée. Maîtriser ce langage secret garantit alors le succès.

Dans l’Aude, certaines fées vivaient dans un palais de cristal sur la colline du Taich, tandis que dans les Alpes vaudoises, les Fées – appelées Faïes, Fatas ou Fadhas – préféraient les sites isolés et silencieux : cavernes, excavations moussues, lieux élevés ou barma. Ces créatures veillaient sur les pâturages, la vie des bergers et le printemps, apportant bienfaits et protection aux hommes.

Leur habitat comprenait des plateaux verdoyants, rochers (scex), grottes (tannes) et ruisseaux, où elles résidaient loin du monde humain, tout en intervenant dans les affaires des mortels. Parfois, elles se liaient avec des hommes, leur transmettant les mystères de la nature et des arts magiques. Ces unions n’étaient heureuses que si l’homme respectait certaines règles de politesse et de langage envers la fée.

Une légende populaire dans plusieurs villages du Bas-Valais illustre ces unions. Un jeune homme de Clebe tomba amoureux d’une fée et lui demanda sa main. Après une certaine résistance, elle accepta à condition qu’il ne lève jamais la voix contre elle et qu’il ne prononce jamais la phrase : « Tu es une mauvaise fée. » Le couple se maria et eut de beaux enfants. Un jour, anticipant une grêle terrible, la fée moissonna le blé encore vert avec l’aide de ses compagnes et le mit à l’abri dans la grange. À son retour, le mari lui dit : « Qu’ai-je donc fait d’épouser une mauvaise fée ! » À peine ces mots furent-ils prononcés que la fée disparut dans un bruissement semblable à un serpent glissant parmi les pierres. Plus tard, elle réapparut, à condition que le père suive des instructions précises, lui rappelant que le respect mutuel était essentiel pour que l’union perdure.

Selon Paul Sébillot, la tradition locale situe souvent les fées sur les sommets ou dans des grottes inaccessibles, mais certaines vivaient à proximité des villages, dans des excavations de petites collines. Les récits montrent une grande analogie entre ces fées et celles des Alpes ou des Pyrénées, partageant les mêmes vertus protectrices et interventions dans la vie humaine. Ces légendes révèlent que, dans le folklore montagnard, les fées ne sont pas seulement des créatures fantastiques, mais aussi des gardiens bienveillants des hommes et de la nature.

Les fées des montagnes et des collines, à l’instar de celles des plaines et des bois, prenaient plaisir à former des rondes nocturnes. En Dauphiné, les linges blancs aperçus sur le plateau de la Montagne Inaccessible étaient autrefois considérés comme les robes enchantées de fées dansant sur l’herbe. Dans les Alpes vaudoises, notamment sur le territoire des Ormonts, les bergers voyaient les bonnes dames faire des rondes, parfois endormies à l’ombre des sapins.

D’autres régions témoignent de traditions similaires : au Hohneck, les fées dansaient au clair de lune sur les pâturages d’été ; en Gascogne, les fées Blanquettes prenaient part à des danses à minuit sur les collines ; dans l’Aude, le plateau de Donnezan porte le nom de Danse des fées ; et près de Ruffach, des dames blanches étaient aperçues dansant autour d’un feu.

Une petite légende de la Loire-Inférieure montre les conséquences de troubler ces danses. Sur le tertres de Rohouan, des fées bienfaisantes formaient des rondes au clair de lune, mais les habitants, dérangés par les chants, détruisirent leurs maisons de pierre. La punition ne se fit pas attendre : une famine durable s’abattit sur le village. À Guernesey, les fées du Creux des Fées dansaient la nuit sur le Mont-Saint, et en 1896, les habitants avertirent une dame qu’il était imprudent de construire à cet endroit.

Parfois, les danseuses contraignaient les passants à se joindre à elles, mais elles étaient alors considérées comme des fées dégénérées ou sorcières. Un exemple : près du Suc, un homme aperçut trois demoiselles causant entre elles. Il tenta de s’éloigner, mais fut forcé par les fées à danser jusqu’au lever du jour.

Dans le Cantal, près du lac des fées, un garçon fut entraîné dans une ronde magique un samedi soir. Épuisé, il tomba sur le sol alors que les belles filles se transformaient en squelettes effrayants, prêts à un festin macabre. Il échappa au pire en invoquant saint Géraud, mais garda des marques physiques de cette vision. À Châteaugay (Puy-de-Dôme), des dames vêtues de noir, redoutées pour leur vue, dansaient également la nuit sur un monticule.

De nos jours, les fées et leurs congénères se montrent rarement sur les montagnes. Les légendes racontent souvent pourquoi elles les ont abandonnées. Dans la partie basque des Pyrénées, les Lamignac disparurent après que Roland les écrasa à coups de pierres alors qu’ils festoyaient avec les vaches volées. Dans les Alpes vaudoises, certaines fées partirent à cause du manque de respect des hommes. Un berger, marié à l’une d’elles, menaça de la frapper avec son bâton : elle quitta la maison pour rejoindre ses compagnes dans une autre région.

La fée des Tannes de Javerne, mariée à un homme avec l’obligation de ne jamais prononcer trois mots interdits, s’enfuit également lorsqu’il manqua à sa promesse. Dans les Ormonts et vallées voisines, les fées partirent lorsque les bergers souillèrent les sources où elles se lavaient ou le baquet de crème qu’on mettait de côté pour elles selon un usage ancien.

Dans le Valais, c’est encore l’ingratitude humaine qui provoqua le départ des fées. Un berger de moutons, ayant besoin de s’absenter, pria les fées des Arpales de garder son troupeau. Elles acceptèrent, à condition que dès le souffle du vent du mont Joux, il revienne chercher ses moutons. Mais le berger hésita et n’agît que lorsque le vent se transforma en cyclone. À son arrivée, il ne trouva que ruines et carnages. Les fées, du haut d’un rocher, crièrent qu’elles quittaient ce pays inhospitalier, et que vignobles et bois disparaîtraient pour laisser place à une terre aride et désolée.