Phénomènes aussi spectaculaires que mystérieux, les éclipses ont longtemps nourri l’imaginaire des peuples. Bien avant les explications scientifiques modernes, elles étaient perçues comme des manifestations célestes chargées de sens, souvent inquiétantes. Retour sur les croyances populaires autour des éclipses, entre combat cosmique, créatures monstrueuses et sombres prophéties.

Le Folklore


Quand la Lune rencontre le Soleil : une rivalité céleste

Dans de nombreuses traditions, les éclipses résultent d’une rencontre redoutée entre la Lune et le Soleil. En Ille-et-Vilaine, par exemple, la Lune est considérée comme l’égale du Soleil. Si elle venait à le recouvrir totalement, elle pourrait s’y coller à jamais, provoquant l’obscurité éternelle. Une image frappante d’un équilibre céleste fragile.

Plus fréquemment, l’éclipse est décrite comme un affrontement entre les deux astres. En Loire-Inférieure, certains affirment avoir vu la Lune et le Soleil se battre, et autour de Menton, on assure qu’on peut les observer « aux prises ». Au Luxembourg belge et en Limousin, le Soleil est vu comme l’époux de la Lune, et l’éclipse symbolise une dispute conjugale céleste. Une lecture anthropomorphique qui traduit le besoin humain de projeter ses conflits et ses émotions sur les astres.

Monstres célestes et rituels de protection

D’autres traditions vont plus loin, en affirmant que la Lune est attaquée par un monstre lors des éclipses. En Limousin, c’est un griffon qui poserait ses pattes sur l’astre nocturne.

Ce mythe remonte loin : dès le VIe siècle, l’Induculus paganiarum évoquait les cris « Vince, Luna ! » (« Victoire à la Lune ! ») poussés par la foule pour encourager l’astre à vaincre la bête. On criait, tambourinait, faisait du bruit pour effrayer l’envahisseur invisible.

Le folkloriste Désiré Monnier raconte avoir assisté à une éclipse en Bresse. Il décrit les réactions des villageois, émus jusqu’aux larmes, murmurant :
« Mon Dieu, qu’elle est souffrante… »
La Lune, assimilée à une personne malade, était compatissante et vulnérable. À la fin de l’éclipse, un soulagement collectif s’exprimait : la Lune avait triomphé.

Des signes de malheur à venir

Les éclipses ne sont pas que des affrontements : elles sont aussi porteuses de présages funestes. Depuis des siècles, elles sont interprétées comme des annonces de guerre, d’épidémies, de famines ou de catastrophes naturelles.
Un exemple marquant nous vient du 16 juin 1406, entre six et sept heures du matin. Une éclipse « merveilleuse » plongea les habitants dans l’effroi :
« C’estoit grande pitié de voir le peuple se retirer dans les églises, et cuidoit-on que le monde deust faillir. »
Un tel phénomène provoqua des scènes de panique religieuse. Des astronomiens furent convoqués pour apaiser les esprits, concluant que l’éclipse était étrange, et annonciatrice d’un grand mal à venir.

Conclusion : entre crainte, croyance et émerveillement

Les éclipses, fenêtres ouvertes sur l’inconnu, ont toujours fasciné. Qu’elles soient vues comme des combats mythiques, des attaques monstrueuses, ou des signes de l’Apocalypse, elles témoignent d’un rapport ancestral et mystique à l’univers.
Aujourd’hui encore, même à l’ère des explications scientifiques, les éclipses conservent une aura d’étrangeté. Peut-être parce qu’elles rappellent, l’espace d’un instant, que le ciel reste un lieu de légendes, d’où peut surgir l’imprévisible.

Références :


Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paul Sébillot