Les Cercles de danses : les ronds nocturnes des créatures merveilleuses

Le branle de la paix dansé par les nations de l’Europe, 1698

À travers toute la France, les traditions populaires parlent de cercles étranges apparus dans les prés, les landes et les clairières. Ces espaces circulaires, parfois verdoyants, parfois stériles, sont attribués aux danses nocturnes des fées, sorcières, lutins ou même aux pas du diable. Sous la clarté de la lune ou à l’aube, ces créatures formaient des rondes magiques dont l’empreinte marquait la terre de façon indélébile. Ces « salles de bal » enchantées suscitent depuis des siècles fascination, crainte et récits fantastiques.

Selon les régions, la perception de ces cercles varie. Dans certaines campagnes, ils sont redoutés : en Lorraine, les paysans fuyaient ces traces de peur d’y croiser des êtres malfaisants ; en Bretagne, on craignait que les vaches broutant leur herbe ne tombent malades. Ailleurs, au contraire, ces ronds sont vus comme des lieux protecteurs : en Berry, par exemple, ils servaient de refuges inviolables contre les bêtes sauvages ou les attaques démoniaques. Quant aux cercles associés aux sabbats de sorcières, ils renforçaient l’image inquiétante de danses diaboliques où l’herbe brûlait sous les pas.

Mais il existe aussi une facette plus positive de ces traces circulaires. Dans certaines régions comme la Côte-d’Or, la Gascogne ou le Pas-de-Calais, les cercles des fées sont réputés pour leur fertilité exceptionnelle : une herbe plus verte, plus épaisse, parfois même fleurie, qui engraissait mieux le bétail. Qu’ils soient redoutés ou admirés, maudits ou bénis, ces cercles nourrissent un imaginaire collectif où la nature, marquée par l’invisible, garde la mémoire des danses surnaturelles.

Partout en France, les traditions populaires racontent de mystérieuses rondes de fées. Comme les nymphes de l’Antiquité, elles apparaissaient à la lueur de la lune ou aux premières lueurs du soleil, dans les clairières, au bord des bois ou dans les prés encore perlés de rosée.

Dans les prairies du Bessin, on les imaginait dansant en cercle, leurs longs cheveux portés par le vent. Au centre de la ronde se tenait une fée parée d’une couronne d’or. Mais gare à celui qui osait troubler leur danse : il risquait d’être projeté à plus d’un kilomètre, au milieu des ronces et des épines.

En Franche-Comté, d’autres récits évoquent de petites demoiselles blanches jouant dans le Pré des Îles, juste avant le lever du soleil. Portées par les vapeurs du sol, elles semblaient aussi légères et transparentes que le brouillard lui-même.

Même si les fées étaient réputées légères et presque immatérielles, leurs danses laissaient malgré tout des traces visibles sur le sol. Ces empreintes circulaires, souvent aperçues dans les prairies, ont depuis longtemps été associées aux rondes féeriques.

On les désigne aujourd’hui sous différents noms populaires, mais il semble que l’idée de leur origine magique remonte bien avant le XVIIe siècle. Toutefois, à cette époque, peu d’auteurs s’intéressaient réellement aux traditions populaires liées aux phénomènes naturels.

L’un des rares témoins littéraires reste Dassoucy, écrivain et voyageur du Grand Siècle. Il évoquait « le plaisir de marcher tantôt sur le velours vert d’un tapis herbu, et tantôt costoyant un petit ruisseau, fouler aux pieds les mesmes traces que les Fées, dansant en rond, ont laissé empreintes dans l’émail d’une prairie. » Un témoignage précieux qui relie poésie, nature et croyances populaires.

Partout en France, la tradition populaire raconte que les fées et autres créatures surnaturelles laissaient des traces visibles de leurs rondes. Ces lieux, souvent circulaires, sont désignés comme des « salles de bal » enchantées. Leur particularité ? Une terre stérile, où l’herbe ne repousse plus.

Dans l’Aveyron, on les appelle le Bal des fées. À Saint-Cast (Côtes-du-Nord), un terrain complètement dénudé rappelle encore l’endroit où les « bonnes dames » venaient danser. Dans le Cantal, le Rond des Fées était si vivant qu’on disait que ces esprits répondaient parfois aux passants curieux. Plus au nord, dans les Ardennes, l’herbe ne pousse jamais au Rond de la Dame. La légende raconte qu’un paysan, s’étant levé trop tôt pour aller moissonner, aperçut les fées dansant sous la lune. À leur question sur l’heure, il répondit « trois heures du matin ». Les fées éclatèrent : « Imbécile ! S’il était trois heures, tu ne nous aurais pas trouvées ! Passe ton chemin ! »

Ces cercles enchantés sont signalés dans d’autres régions : le Champ des Fées à Warloy-Baillon (Somme), où un grand espace nu marquait autrefois leurs sabbats nocturnes, ou encore à Orvilliers (Aube), où les paysans affirment que les moissons poussent mal dans ces cercles maudits. Partout, la même idée persiste : la danse des fées laisse une empreinte indélébile dans la terre.

Dans l’imaginaire populaire, les fées ne sont pas toujours des créatures bienveillantes. Dans certaines traditions, elles sont associées au sabbat, assimilées à des sorcières ou même liées au monde infernal. Aux alentours de Semur (Côte-d’Or), on distingue encore, dans les prairies ou sur les collines, des disques d’une régularité étonnante. Au printemps, l’herbe y est verte mais plus courte ; à l’automne, elle semble comme brûlée. Les anciens affirmaient que c’était là que lutins, sorciers, fées et diables se retrouvaient au clair de lune pour danser des rondes enflammées, laissant ces cercles maudits derrière eux.

L’un des plus célèbres se situait au Vic de Chassenay, près d’une ancienne voie romaine appelée Chemin des Fées, à deux pas d’un arbre légendaire et d’un lieu-dit nommé la Grosse-Borne – qui pourrait bien indiquer l’emplacement ancien d’un menhir. La légende raconte qu’un habitant du village, passant de nuit près du cercle, aperçut une ronde d’hommes et de femmes menée par le diable lui-même, cornes dressées et musique entraînante. Parmi les danseurs, il reconnut des visages familiers. On lui tendit alors un vase d’argent rempli d’une étrange liqueur. Méfiant, il la renversa à terre. Invité à garder la coupe, il fit le signe de croix et aussitôt, tout disparut dans un vacarme terrifiant. Dans sa poche, il ne resta plus qu’un simple caillou.

De telles histoires ne sont pas isolées. En Bas-Vivarais, on raconte une légende semblable, et dans la Creuse, les fades – des fées malfaisantes – rendaient ces cercles encore plus redoutables. Les voyageurs attardés devaient absolument éviter ces lieux enchantés sous peine d’être déchiquetés par les dames irritées. Ainsi, les ronds du sabbat rappellent que le merveilleux peut basculer vers l’effrayant, et que les pas des fées n’étaient pas toujours synonymes de bénédiction.

Tout comme les fées, les sorciers et les lutins laissaient derrière eux des traces visibles de leurs sabbats. Ces cercles mystérieux, où l’herbe semble brûlée ou arrachée, sont devenus de véritables marques du surnaturel. Bien avant le XVIIᵉ siècle, on leur attribuait déjà les ronds sans végétation qui parsemaient certaines prairies. En 1645, un voyageur, en attente d’embarquement pour le Portugal, fut conduit à l’un de ces lieux. Sa description est saisissante :

« Un pré où l’on dit que les sorciers tiennent leur sabbat. Il y a dedans plusieurs ronds où l’herbe n’est pas seulement foulée, mais il semble qu’on l’ait bruslée. Il est vray qu’alentour on voit comme un rond d’une herbe bien plus belle et plus verte. »

Ce contraste entre herbe calcinée et verdure luxuriante renforçait l’idée d’un espace maudit, foulé par des forces occultes. Deux siècles plus tard, près de Questambert (Morbihan), on parlait encore du Pré des sorciers, où l’on entendait glapissements et hurlements remplacer toute musique, rythme infernal de leurs rondes nocturnes.

Les témoignages se multiplient à travers la France : dans l’Aveyron, un vieillard du XIXᵉ siècle affirma avoir vu de ses yeux une assemblée de sorcières et de masques hideux danser à la lueur de torches. Sur le Puy de Pège, le chemin du Diable demeure un cercle stérile où l’on dit que Satan lui-même mène ses adeptes dans une danse sans fin. En Bourgogne, à la Combe de Nervaux près de Meursault ou à Lusigny (Côte-d’Or), les cercles jaunis et brûlés sont toujours montrés comme preuves du passage des suppôts du diable. Plus au sud, dans l’Allier, les faucheurs disent que ces ronds apparaissent après les pratiques criminelles des sorciers, lors de la nuit du premier mai.

En Basse-Bretagne, d’autres êtres s’invitent à la danse : les courils, petits lutins malicieux, qui brûlent l’herbe en rond sous la clarté lunaire. Quant aux cercles tracés par les exorcistes pour enfermer les âmes des conjurés, ils restaient eux aussi à jamais dépourvus de végétation, comme une cicatrice indélébile de leurs luttes contre l’invisible.

Les cercles laissés par les danses des fées, sorcières ou lutins fascinent autant qu’ils inquiètent. Dans les campagnes, ces traces circulaires sur le sol sont vues comme des empreintes surnaturelles, chargées de malédictions ou de pouvoirs étranges. En Lorraine, les paysans évitaient soigneusement les ronds laissés par la foudre ou les tourbillons de vent, qu’ils considéraient comme le vestige des rondes enchantées. Dans les Alpes vaudoises, il était interdit de s’asseoir dans les riola, lieux où les sorcières avaient dansé. En Basse-Bretagne, on empêchait même les vaches de paître autour de ces cercles, de peur que le foin n’apporte maladies ou parasites. Les faucheurs de l’Allier allaient jusqu’à affirmer que ce foin maudit engendrait des poux pour tout l’hiver.

Les croyances divergent cependant. En Bretagne, les cercles pouvaient être dangereux, car les âmes conjurées qu’on y avait enfermées par exorcisme pouvaient, une heure par jour, nuire aux imprudents qui y entraient. À l’inverse, en Berry, les « ronds des fées » étaient vus comme de véritables refuges sacrés : en cas de poursuite par une bête malfaisante, d’embuscade ou même d’attaque démoniaque, se réfugier dans ces cercles garantissait une protection inviolable.

Parfois, au lieu d’une stérilité inquiétante, ces cercles étaient associés à une fertilité exceptionnelle. En Berry et en Côte-d’Or, le « Cercle des fées » se distinguait par son herbe plus verte et plus abondante. En Gascogne, les traces des « Blanquettes » faisaient pousser un gazon nourrissant, qui engraissait rapidement les taureaux. Plus au nord, près de Samer (Pas-de-Calais), l’herbe plus épaisse et fleurie marquait les lieux de leurs rondes nocturnes. Et près d’Écordal, un immense cercle de treize mètres, toujours vert, rappelait l’emplacement des sabbats de sorcières. Dans le pré Norbert, à Avaux, les spirales de leurs danses restaient visibles dans l’herbe courbée — verdoyante en toute saison.