Origines et particularités
Dans les croyances populaires de Haute-Bretagne, la nature n’est pas uniquement l’œuvre de Dieu : elle est aussi influencée par le Diable. Ce dualisme ancien, qui oppose forces bénéfiques et maléfiques dans l’explication des phénomènes naturels, est encore perceptible dans certaines traditions orales. Selon ces croyances : Dieu fait la pluie, le Diable la grêle ; Dieu fait le vent, le Diable la tempête. »
Cette répartition entre les bons et les mauvais éléments météorologiques illustre la manière dont les sociétés rurales interprétaient les caprices du ciel. La pluie, bénéfique pour les cultures, était perçue comme un don divin. En revanche, la grêle et les tempêtes, destructrices, étaient associées aux puissances infernales.
Les météores de Dieu et ceux du Diable

Dans ces régions, lorsqu’un double arc-en-ciel apparaît dans le ciel, on y voit deux signatures distinctes : le plus lumineux, parfait dans ses couleurs : l’arc-en-ciel de Dieu ; le plus pâle, inachevé : celui du Diable
Une légende comtoise illustre ce récit :
« Dieu créa un arc-en-ciel splendide. Jaloux, le Diable voulut faire mieux. Il plaça deux piliers plus écartés encore, dans l’idée de former une arche de feu gigantesque. Mais son œuvre resta inachevée : les piliers montèrent, ternes, sans jamais se rejoindre. Le pont de lumière ne se forma pas. » Depuis, on compare toute construction sans fin visible à “l’arc-en-ciel du Diable”.
En Côte-d’Or, l’arc-en-ciel est surnommé la « Couronne de saint Bernard ». Là aussi, le Diable n’est pas loin…
Quand un second arc se dessine sous le premier et semble se briser, on raconte que : « Le Diable, jaloux de la gloire de saint Bernard, tente de se faire une couronne… mais échoue. Il la casse. » Une manière imagée d’expliquer l’imperfection du second arc, que la science appelle simplement le reflet secondaire de la lumière, mais que le folklore interprète comme un défi raté.
Dans la Manche, ce second arc-en-ciel est parfois appelé « la marque de la vieille », sans que l’on en connaisse vraiment l’origine. L’ethnologue Paul Sébillot le signale, mais n’en fournit pas d’explication. Peut-être un écho oublié d’un vieux mythe ou d’une divinité déchue ?
L’arc-en-ciel double
Au Moyen Âge, l’arc-en-ciel est perçu comme un véritable arc de guerre, tenu par les nuées personnifiées, ces entités célestes invisibles qui gouvernent les éléments. Un manuscrit médiéval décrit cette scène quasi épique :
Ansinc cum por aller chacier,
Un arc en leur poing prendre seulent,
Ou deux ou trois, quand eles veulent,
Qui sont apelés arc celestes,
Dont nus ne sait, s’il n’est bon mestre… »
Traduction :
« Ainsi, comme pour aller chasser,
Elles prennent en main un arc,
Un ou plusieurs, quand elles veulent,
Appelés arcs célestes,
Dont nul ne comprend la nature s’il n’est maître… »
Ce passage évoque une croyance ancienne : l’arc-en-ciel serait une arme utilisée par les forces célestes pour chasser ou combattre. Le texte interroge aussi sa structure mystérieuse — ses couleurs, sa forme — inaccessible au commun des mortels.
Dans les langues populaires et dialectes régionaux, l’arc-en-ciel porte des noms poétiques ou sacrés :
- Arc du Temps en Picardie, suggérant peut-être un lien entre le ciel et les cycles météorologiques.
- Arcas dóu cèu en Provence, littéralement « arc du ciel ».
- Er-Dyè ou Ar-Dî en Wallonie et d’autres pays francophones, soit « arc de Dieu », directement inspiré des textes bibliques — en particulier l’Ancien Testament où l’arc-en-ciel symbolise l’alliance entre Dieu et l’humanité après le Déluge.
L’arc-en-ciel devient aussi un objet attribué à certains saints locaux, comme s’ils en étaient les gardiens ou les créateurs :
- Arc de Saint Martin en Picardie, Doubs, Languedoc, Provence, Béarn (où il prend différentes formes dialectales : Arquet de Sant Marti, Arc de Sent Martii, etc.).
- Arc de Saint Del ou Arçon de Saint Del en Franche-Comté, en lien avec saint Del, abbé de Lure.
- Arc de Saint Michel, aux alentours de Tournai et dans le Pas-de-Calais, fait référence à l’archange guerrier, souvent représenté avec une épée ou une balance, ici accompagné d’un arc céleste.
Les noms de l’arc-en-ciel en relations avec sa forme
Sa forme cintrée évoque pour beaucoup une couronne, ce qui lui a valu de nombreux noms liés aux saints et au sacré :
- Couronne de Saint Bernard (pays messin, Vosges, Côte-d’Or)
- Couronne de Saint Giracque, de Saint Léonard, ou encore de Saint-Denies (vers Belfort)
- Jarretière de Dieu, Jarretière de la Vierge (Haute-Loire, Puy-de-Dôme)
- Ceinture de Dieu, Courroie de Saint Léonard (Vosges), ou encore Amarou-lerou ar potr koz (« les jarretières du vieux garçon », Finistère)
L’argot parisien l’appelait aussi Cravate, sans doute en écho à l’écharpe colorée de la déesse Iris chez les Grecs, messagère entre ciel et terre.
Autre interprétation fréquente : l’arc-en-ciel est un pont ou une passerelle céleste. Cette image traverse toute la France :
- Poent de Saint Bernard (Provence, Dauphiné)
- Pont du Saint-Esprit (Ardèche)
- Poent de sèro ou Poent de sedo (Provence, Languedoc)
En Lavedan, il devient le Pourtaou de Saint Martii – le portail de saint Martin. En Wallonie, on parle même du Pwèt’ de Paradi, littéralement la Porte du Paradis : les enfants rêvaient qu’en gravissant un arc-en-ciel, ils atteindraient le Royaume du ciel.
L’écrivain romantique Émile Souvestre, dans Les Derniers Bretons (1836), rapporte une croyance normande rare et poétique : l’arc-en-ciel serait “l’ombre d’un pont entre le ciel et la terre”, un souvenir lointain de la mythologie nordique et du Bifröst, le pont arc-en-ciel reliant Asgard à la Terre.
D’autres croyances, plus sombres ou mystiques, décrivent l’arc-en-ciel comme un véhicule des âmes : en Haute-Bretagne, ce sont des échelles d’âmes en peine, qui montent ou descendent d’une étoile à une autre. À Valenciennes, il devient le Bourdon Saint Miché, ailleurs la Ligne de saint Jean (Luxembourg belge), ou la Róy sin Dj’han – autant de noms qui ne reprennent pas la forme d’un arc, mais une fonction invisible.
Les couleurs de l’arc-en-ciel ont aussi inspiré des métaphores plus modernes : dans le Centre, on le surnommait l’Étendard, comme en témoigne le cinquième couplet de chanson de Casimir Delavigne, La Parisienne, composé en 1830, hymne national de la France sous le règne du dernier roi du pays, Louis-Philippe I :
Les trois couleurs sont revenus,
Et la colonne, avec fierté,
Fait briller à travers les nues
L’arc-en-ciel de sa liberté,
Ô jour d’éternelle mémoire !
Paris n’a plus qu’un cri de gloire :
(refrain)
Dans le Nord, certains conteurs disaient qu’il représentait la flamme du navire Grand Chasse Foudre, vaisseau mythique fait de toutes les couleurs et appartenant à toutes les nations. En Languedoc et en Provence, les gens s’émerveillaient tout simplement devant lou Bel (le Beau, Aveyron), Arc de sédo ou Arc de soie, dans la même veine que la lune, souvent appelée la Belle.
Son apparition après l’averse en fait naturellement un signe de pluie passée ou à venir : en Bretagne, on parle de Guarek ar glao (« arc de la pluie ») ou Kloarec ar glao (« clerc de la pluie »), noms imprégnés de légendes météorologiques. Le nom Los tar bleiz (« queue du loup ») suggère que l’arc contient un animal fabuleux, ou est un animal. Ce nom est souvent cité dans les formulettes destinées à faire disparaître l’arc-en-ciel.
L’arc-en-ciel animal
Dès l’Antiquité, certains écrivains affirmaient que l’arc-en-ciel plongeait vers l’horizon pour étancher sa soif. Cette idée se retrouve, de manière vivace, dans les traditions orales de plusieurs régions françaises.
Aux alentours de Lannion, en Basse-Bretagne, les paysans affirment que l’arc-en-ciel est un grand serpent. Il descend du ciel pour boire dans les rivières, les étangs ou les ruisseaux, lorsqu’il manque d’eau. On dit alors : « Il boit à tel ruisseau », ou « il boit à l’étang de… »
Certains vont plus loin : ce serpent aurait une tête flamboyante, des yeux de feu, ou même une tête de taureau, comme celle de l’Iris décrite par Plutarque, ou encore une tête de bœuf, comme dans les légendes estoniennes.
En Corse, on raconte que lorsque l’arc-en-ciel apparaît, le Diable descend boire à la mer ou au fleuve. Une vision sombre et puissante, où l’arc n’est plus un pont mais une bouche béante tournée vers les eaux du monde.
Les traditions bretonnes vont encore plus loin. Dans le Finistère, l’arc-en-ciel serait invisible s’il n’était pas contraint de boire. Il aspire parfois l’eau de lacs entiers, causant leur assèchement brutal.
Les marins des deux Bretagnes disent qu’il boit à la mer, car il y apparaît plus clairement que dans le ciel. En Ille-et-Vilaine, l’eau qu’il aspire servirait à éteindre les nuées pour éviter qu’elles ne brûlent, formant de gros bouillons là où ses extrémités touchent un étang ou un cours d’eau. En Corrèze, on dit qu’il se forme sur la mer, arrive poussé par le vent, et qu’il garde une jambe dans les ruisseaux pour en pomper l’eau.
Ces croyances ne s’arrêtent pas au simple phénomène. Elles sont souvent liées à des signes météorologiques :
En Basse-Bretagne, si l’un des pieds de l’arc repose sur une colline près d’une rivière, il ira y boire, et la pluie suivra pour remplacer l’eau qu’il a prélevée. En Saintonge, s’il plonge dans la Charente ou l’Océan Atlantique, on dit qu’il pêche. Selon le lieu de cette « pêche », on prévoit du beau temps ou de la pluie.
Dans le Bocage vendéen, on affirme que le cerne (autre nom de l’arc-en-ciel) enlève l’eau des étangs, et qu’il tombe en faisant pleuvoir des poissons. Une image presque biblique. En Basse-Bretagne, la pluie qui suit son passage peut même contenir des grenouilles ou de petits poissons, preuve vivante que l’arc a bu… et redistribue ce qu’il a pris.
L’arc-en-ciel et sa puissance. Il fait changer de sexe
Dans certaines régions de France, l’arc-en-ciel agit comme un fléau silencieux. Dans le Mentonnais, on dit que si l’une de ses colonnes touche un arbre, celui-ci meurt. Dans le Lot et la Haute-Garonne, non seulement il dessèche les arbres, mais il détruit également les récoltes des champs sur lesquels il se pose. Dans le sud du Finistère, l’arc-en-ciel est accusé de pomper continuellement l’eau, provoquant des rafales soudaines, des grains violents et des vents brutaux.
Les marins de la Manche racontent une histoire inquiétante :
Si un navire passe sous l’un des pieds de l’arc-en-ciel au moment où celui-ci aspire l’eau, le bateau pourrait être enlevé avec elle.
Un avertissement maritime transmis de génération en génération, empreint d’une poésie sombre, presque biblique.
L’une des croyances les plus fascinantes, et sans doute la plus étrange, est celle qui prête à l’arc-en-ciel le pouvoir de changer le sexe de ceux qui passent dessous. Cette idée, aujourd’hui oubliée, était suffisamment répandue au XVIe siècle pour apparaître dans les contes et les comédies populaires. Le poète bourguignon Tabourot évoquait avec humour ces « Dames et Damoiselles si mistes et si délicates qu’elles n’eussent osé estrangler vn pet ou le faire tourner du sexe masculin au féminin sans passer sous l’arc Saint Bernard« .
Un extrait savoureux des Tromperies de Larivey (Acte I, Scène 5), met en scène ce dialogue :
CONSTANT. — Toy n’estant femme, de quoy te plains-tu ?
ROBERT. — Et si je passois sous l’arc-en-ciel et que quelque estrange accident me changeast quelque jour ?
La légende ne s’arrête pas là. En Haute-Loire, on croit qu’une personne passant dessous devient du sexe opposé. Près de Belfort, une autre version raconte que si une fille parvient à jeter son bonnet par-dessus l’arc-en-ciel, elle sera immédiatement transformée en garçon.
Richesses qu’il apporte
Dans plusieurs provinces de France, on raconte que là où l’arc-en-ciel touche le sol, une fée y dépose une perle magique, un objet si précieux qu’il vaudrait à lui seul un trésor inestimable. Certains bergers affirment même courir vers ces endroits dans l’espoir de le découvrir avant qu’il ne disparaisse.
Les récits varient selon les régions, mais le thème du trésor laissé à l’extrémité de l’arc-en-ciel reste constant :
- Dans les Vosges, on croit que si ses piliers reposent sur une hauteur, celui qui réussit à y déposer un panier le retrouvera plein d’or.
- En Auvergne, c’est un panier d’argent qui attend l’audacieux.
- En Wallonie, on parle d’un plat en argent.
- Dans le Lot, la récompense est un quarteron de louis d’or.
- En Corse, on raconte qu’un trésor se cache à l’endroit exact où l’arc-en-ciel boit.
Et quand les enfants comprennent qu’ils n’arriveront jamais à le surprendre à temps, ils le narguent avec humour, en frappant leurs genoux les mains croisées et en criant :
« Tiens, apporte ici le trésor ! »
Dans la Haute-Loire, après qu’il a « bu » dans une rivière, on retrouve parfois une écuelle ou une cuillère en bois ou en métal à l’endroit où l’un de ses bouts a trempé. On suppose qu’il s’en serait servi pour puiser l’eau, tout comme selon les traditions souabe ou bulgare, où l’arc-en-ciel boit avec des plats ou des coupes en métaux précieux.
À Pont-l’Abbé, la buée colorée qui monte du sol après une pluie est interprétée comme le dernier souffle de l’arc-en-ciel, qui achève de pomper l’eau. Dans le Cap Sizun, cette buée est perçue comme le signe qu’un trésor caché est en train de remonter à la surface, pour se sécher au soleil.
Lorsqu’on aperçoit l’arc-en-ciel, il faut courir au champ coloré et y jeter un objet béni (eau bénite, croix, médaille…). Si on le fait assez vite, l’argent reste sur terre et peut être ramassé. Si l’on arrive trop tard ou sans objet béni, le trésor disparaît dans le sol ou se transforme en feuilles de chêne sèches.
Serments et actes interdits
Dans la littérature comme dans les scènes populaires, l’arc-en-ciel devient une image de défi, voire de provocation.
Alexandre Dumas, dans Les Baleiniers, voyage aux terres antipodiques, journal du docteur Maynard, met dans la bouche de ses personnages une formule étonnante : « Que l’arc-en-ciel me serve de cravate ! »
On la retrouve aussi sur scène, dans un vaudeville de Félix Auguste Duvert, Le Marchand de Marrons, où un personnage lance avec emphase : « Si je sais où aller, je veux bien que l’arc-en-ciel me serve de cravate ! » C’est une manière imagée de s’abandonner au destin ou de se moquer du sérieux d’une situation. L’arc-en-ciel, d’ordinaire symbole de paix ou d’espoir, devient accessoire de bravade.
Dans d’autres régions, ce n’est pas l’arc-en-ciel mais le vent qui est invoqué dans les imprécations : en Provence, les marins jurent « Que tous les mistrals m’étranglent ! ». Chez les paysans bas-bretons, on maudit un ennemi en le vouant au vent : « Je te donne au coup de vent ! » Ici, le souffle des éléments devient exutoire, punition, ou parfois jugement. Ces expressions reflètent la force symbolique du climat dans la culture populaire.
Dans certaines provinces, désigner l’arc-en-ciel du doigt est formellement déconseillé, voire dangereux :
- En Auvergne, c’est un geste interdit, sans explication ouverte mais chargé d’un tabou implicite.
- En Picardie, le doigt pointé peut être coupé, littéralement ou symboliquement.
- En Wallonie et dans les Vosges, on affirme qu’un panaris – cette infection douloureuse du doigt – viendra punir celui qui ose le désigner.
Ces croyances nous rappellent combien le corps lui-même entre en relation avec le sacré ou le mystérieux dans les traditions rurales. Pointer un phénomène céleste du doigt, c’est braver l’invisible.
Présages et songes
Dans le petit village de Gras-Avernas, près de Liège, une croyance persistante veut qu’un arc-en-ciel apparaisse toujours au-dessus de la maison d’une personne récemment décédée. Un phénomène céleste, ici, devient un signe du passage vers l’au-delà, une sorte de pont lumineux entre le monde des vivants et celui des morts, comme le Bifröst des anciens Scandinaves. Le ciel devient ainsi messager du deuil.
Dans le pays bourbonnais, le rêve d’un arc-en-ciel n’est pas aussi poétique qu’on pourrait l’imaginer. Rêver que l’on a un arc-en-ciel au-dessus de la tête est perçu comme un mauvais présage : un changement de fortune, un danger imminent, voire un décès dans la famille. Cette interprétation se retrouve dans l’Onéirocritie ou Dictionnaire des Songes expliqués (Paris, 1859), rédigé par le bibliophile Paul Lacroix , qui compile de nombreuses croyances issues des ouvrages anciens sur l’interprétation des rêves, en particulier les météores.
Parmi les ouvrages qui ont popularisé ces superstitions météorologiques, on retrouve La Clef des Songes, un petit livre de colportage, souvent réimprimé et encore en circulation au XIXe siècle, à l’époque de Paul Sébillot. Ce manuel populaire, vendu sur les marchés et dans les foires, a largement contribué à diffuser des interprétations “météorologiques” des rêves dans les campagnes françaises. On y trouve des interprétations aussi précises que variées… à l’exception notable de celle-ci :
Contrairement à l’arc-en-ciel souvent perçu comme un avertissement dans le sommeil, rêver de pluie à Marseille est considéré comme un présage de bonheur.
Une inversion complète de la symbolique habituelle, qui montre la diversité régionale des croyances liées au climat onirique.
Le pouvoir des humains sur eux
Parmi ces phénomènes spectaculaires, on compte l’aurore boréale, l’arc-en-ciel, le feu Saint-Elme, l’éclair et la foudre. Ces éléments, par leur éclat et leurs couleurs, sont considérés comme hors de portée des humains : aucun mortel ne pourrait les faire apparaître volontairement. Ils seraient donc sous la domination de divinités, ou du moins de puissances supérieures, qui contrôlent ces merveilles célestes. Néanmoins, si les humains ne peuvent créer ces météores, ils semblent avoir un certain pouvoir sur certains aspects du climat : Ils peuvent susciter les orages qui provoquent la grêle ; ils peuvent faire tomber la pluie ; et ils peuvent, plus rarement, provoquer la brume. Mais ils ne peuvent jamais faire tomber la neige.
En ce qui concerne les vents et les tempêtes, la croyance populaire attribue à certains gestes, rites ou manœuvres particulières la capacité de les exciter ou de les déchaîner.
Il ne s’agit pas forcément de pratiques de sorcellerie ou de magie noire, mais parfois simplement de gestes rituels populaires — souvent méconnus ou oubliés aujourd’hui — qui permettent, selon la tradition, de “conduire” ou influencer ces forces naturelles.
Un exemple célèbre, mais désormais rare dans la tradition contemporaine, est la croyance aux sorciers conducteurs de neiges, mentionnée par l’écrivain Savinien de Cyrano de Bergerac. Ce mythe évoque des êtres capables de maîtriser la neige, la faisant tomber ou disparaître à volonté. Mais cette idée a quasiment disparu des récits et des pratiques populaires modernes.
L’arc-en-ciel coupé : actes et formulettes
L’arc-en-ciel, souvent perçu comme un être puissant capable d’exercer une influence parfois nuisible sur les choses et les êtres, fait l’objet de nombreuses pratiques destinées à l’éloigner, le dissiper, ou neutraliser son action. Ces rites, bien qu’enregistrés surtout à l’époque moderne, s’enracinent sans doute dans des croyances antiques. L’écrivain Charles Renel rappelle que les paysans grecs contemporains de la guerre de Troie ou de Périclès pratiquaient déjà des gestes similaires pour conjurer ce phénomène.
La plus répandue en France, et particulièrement en Bretagne, est la coutume de « couper » l’arc-en-ciel, idée probablement liée à la croyance que ce météore est un être animé. La salive est fréquemment utilisée dans cette cérémonie magique, souvent associée à un geste en forme de croix. Cette pratique, inconnue à l’époque préchrétienne et chez les sociétés non civilisées, semble être une christianisation d’un rite plus ancien.
En Auvergne, on « coupe » l’arc-en-ciel en crachant dans la main gauche, puis en frappant la salive avec le bord de la main droite pour former une croix, sans formule spéciale. En Poitou, le rite est similaire, mais le conjurateur ne doit pas avoir vu le météore ; une formule locale commence même par : « Arc-en-ciel que je n’ai pas vu… ». Sur la côte des Côtes-du-Nord, on glisse un brin d’herbe dans la main avec la salive, forme une croix, puis récite :
« Je te coupe en croix,
Tu n’reviendras pas. »
D’autres pratiques, parfois christianisées, complètent ou remplacent la salive : à Audierne, deux pierres sont posées en croix en disant :
« Arc-en-ciel, aliment de l’eau,
Va-t’en au rivage, te rompre le cou. »
Près de Lorient, deux morceaux de bois en croix sont placés sur le chemin, accompagnés d’une formule :
« Dépêchez-vous, dépêchez-vous,
Coupez la queue du loup. »
Dans le Bocage vendéen, on dit :
« Petit peta, coupe la queue du chat. »
Sur le littoral des Côtes-du-Nord, on tient un grain de blé dans la main en récitant :
« Arcancié, arcancié,
Par la vertu de mon petit grain de blé,
Je veux que tu sois coupé. »
Dans le Finistère, on trace parfois une croix dans l’air avec un couteau ou un fil en récitant des formules, notamment à Douarnenez :
« L’arc-en-ciel sur son cheval
Porte un couteau dans sa bourse :
Coupe, coupe, ou je le couperai. »
À la pointe du Raz et à l’île de Sein, on érige des pierres en file, les sommets « coupant » symboliquement l’arc-en-ciel jusqu’à sa disparition.
Dans certaines régions, des menaces sont adressées à l’arc-en-ciel pour protéger les récoltes ou empêcher ses « bestiaux » d’y passer : en Côtes-du-Nord et Ille-et-Vilaine, on le menace :
« Ergancié, Ergancié,
Si tu mets tes vaches dans mon blé,
Je te couperai par la moitié. »
En Berri, au contraire, on lui promet des cadeaux pour apaiser sa colère :
« Du pain, du miel,
Du Cotigna,
Coupe la v’la. »