La Chasse Sauvage : quand le ciel résonne des peurs populaires

Les nuits françaises sont peuplées de récits mystérieux où le vent, les cris d’oiseaux ou le grondement des tempêtes se transforment en signes venus de l’au-delà. Parmi ces croyances, la plus marquante reste celle des chasses fantastiques ou chasses aériennes, cortèges effrayants qui sillonnent le ciel, menés par des personnages maudits, des âmes en peine ou même le diable en personne. Ces traditions, profondément ancrées dans l’imaginaire populaire, se retrouvent dans de nombreuses régions : de la Normandie à la Franche-Comté, en passant par la Bretagne, la Saintonge ou encore le Périgord.

Loin d’être de simples histoires, ces récits reflètent les peurs et les superstitions des communautés rurales face aux bruits nocturnes inexpliqués. On y retrouve des thèmes universels : la punition des sacrilèges, l’errance éternelle de chasseurs impies, mais aussi des présages funestes comme la famine, la peste ou la guerre.

Aujourd’hui, la chasse aérienne fascine autant qu’elle intrigue. Elle relie le folklore médiéval aux croyances modernes, tout en nourrissant la littérature, les arts et même la culture populaire contemporaine. La fameuse Chasse sauvage de la saga fantastique The Witcher continue de résonner comme les échos d’un passé où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts semblait ténue, surtout à la tombée de la nuit

Comme le supposait déjà un curé de Villedieu en Basse-Normandie, dans la Bibliothèque physico-économique de 1789, la légende des chasses fantastiques pourrait s’expliquer par les migrations d’oiseaux de passage. En hiver, les courlis, les oies et les canards sauvages traversent le ciel en grands bataillons bruyants. Leurs cris et leur vol en formation pouvaient être interprétés comme des signes mystérieux venus d’un autre monde. En été, ce sont d’autres oiseaux migrateurs, volant à très haute altitude, qui produisent des sons rappelant des aboiements de chiens ou des glapissements de fauves, renforçant l’idée d’une chasse surnaturelle.

Ces récits de chasses fantastiques existent dans toute l’Europe, mais sont particulièrement vivants dans les régions du Nord et du Centre.
En France, les contes varient :

  • parfois, les chasses se déroulent dans les forêts ou à proximité,
  • parfois, elles se déroulent directement dans les airs.

Les versions terrestres sont plus rares et portent moins de noms. Elles conservent un caractère surnaturel moins marqué que les chasses célestes, qui impressionnent davantage par leur mystère.

La croyance attribuant une origine mystérieuse aux bruits nocturnes dans le ciel est très ancienne.

  • Certains pensaient qu’il s’agissait de fantômes d’armées en marche ou en bataille traversant la voûte céleste.
  • D’autres y voyaient les chasses de l’autre monde, venues troubler la nuit des vivants.

En réalité, ces récits semblent liés à des phénomènes naturels : le vent, les vols d’oiseaux ou encore les résonances sonores. Mais, amplifiés par la peur et l’imagination, ils ont nourri au fil des siècles une des légendes les plus fascinantes du folklore européen.

Certains affirment non seulement avoir entendu, mais aussi vu la chasse aérienne. Paul Sébillot, en Haute-Bretagne, recueillit plusieurs témoignages en ce sens. Un exemple frappant a été observé dans les Vosges : il ne s’agissait pas d’une chasse, mais de la ronde volante des démons et des sorcières, appelée Menée Hellequin.

En été, une rafale de nuit traversait les gorges avec de sourds rugissements. Une longue traînée noire flottait, s’enroulant autour d’un piton escarpé. Par instants, la lune éclairait cette scène, donnant l’impression d’une danse diabolique dans le ciel (Magasin pittoresque, 1853, p. 252, illustration de Henry Valentin).

Comme le disait George Sand, « chaque village a un nom pour désigner les chasses fantastiques ». Si cette généralisation est exagérée, il est vrai que les appellations sont nombreuses, surtout dans l’Ouest, le Centre et l’Est de la France. Les pays de langue d’oc en offrent beaucoup moins.

La plupart des chasses sont menées par des damnés, mais certaines exceptions existent :

  • Chasse Saint Hubert : Normandie, Morvan, Haute-Bretagne.
  • Chasse Saint Eustache : Normandie.

D’autres noms sont empruntés à la Bible :

  • Chasse Caïn ou Cache de Caïn (Normandie),
  • Chasse Macchabée ou Macabre (Blois),
  • Chasse du roi David (pays de Retz),
  • Chasse du roi Salomon (Pays basque),
  • Chasse du roi Hérode (Bresse, Périgord, Franche-Comté),
  • Chasse d’Oliferne (Jura, Montagne Oliferne).

Le plus célèbre reste le roi Arthur :

  • Chasse Arthur en Haute-Bretagne, Normandie, Guyenne, comté de Foix,
  • Chasse Artus en pays fougerais, Normandie, Gascogne,
  • Chasse Artu en Maine et en Ille-et-Vilaine,
  • Chasse Artui en Mayenne.

En Caorsin, lorsqu’on entend la chasse volante, on dit : « C’est le roi Arthur », ou encore « lou rey Artus ». On y raconte aussi une légende propre liée à sa chasse.

D’autres noms, souvent liés à des personnages maudits ou difficiles à classer :

  • Chasse Ankin (Maine), Chasse Hannequin (Anjou), Chasse Hennequin (Normandie), Chasse Helquin (Anjou), Mesnie Hennequin (Vosges), Mesnie Helquin ou Herlequin (Normandie).
  • Chasse Galière (Creuse), Chasse Gayère (Bourbonnais), Chasse Galery/Galerie (Vendée, Canada, Saintonge).
  • Chasse à Bodet, à Rigaud, à Ribaut (Berry).
  • Chasse Briguet (bords de Loire), Chasse Malé, Mare, Maro (Maine), Chasse à l’Humaine (Ille-et-Vilaine), Chasse Valory (Bas-Maine).
  • Chasse du Diable (Normandie), Chasse du Peut ou du Diable (Côte-d’Or).
  • Chasse Maligne (Forez, Bourbonnais), Chasse Proserpine, Chasse Chéserquine, Chasse mère Harpine (Normandie).

Certaines mettent en avant leur caractère bruyant et rapide :

  • Chasse galopine (Poitou),
  • Chasse volante (Saintonge, Périgord),
  • Chasse sauvage (Franche-Comté, Alsace).

En Alsace, le chasseur nocturne prend divers noms :

  • Huperi (de hupen, son cri),
  • Hüstcher ou Huhi (de hut, hub ou haube, référence à son grand chapeau),
  • Freischütz à Soultz (le franc archer),
  • Der Nachtgœger à Guebwiller (le chasseur nocturne).

Dans les croyances paysannes comme dans celles des forestiers, les conducteurs des chasses fantastiques ne sont pas de simples figures légendaires : ce sont des damnés qui expièrent leurs fautes. Leur crime ? Avoir aimé la chasse au point de violer les lois de l’Église pour satisfaire leur passion. Certains n’hésitaient pas à ravager les récoltes sur pied, privant ainsi les communautés de nourriture.

Ils sont condamnés à être punis par où ils ont péché. Leur châtiment prend la forme d’une chasse éternelle :

  • ils doivent poursuivre sans relâche un gibier,
  • mais, selon plusieurs récits, ils ne l’atteindront jamais.

Cette course sans fin rappelle le supplice de Tantale, condamné dans la mythologie grecque à souffrir éternellement de la faim et de la soif, sans jamais pouvoir se nourrir.

Si la plupart des récits placent ces cortèges dans les airs, certains racontent que les chasses fantastiques se déroulent aussi au cœur des forêts. Là encore, leurs conducteurs expient les mêmes fautes : la passion démesurée de la chasse et la transgression des interdits religieux.

Nombre de légendes locales associent les chasses fantastiques à des seigneurs ou rois qui, par leur irrévérence, ont été condamnés à poursuivre une chasse éternelle. Le roi Arthur en est l’exemple le plus connu :

  • En Gascogne, un récit raconte qu’alors qu’il assistait à la messe de Pâques, Arthur entendit sa meute lancer un sanglier. Il sortit de l’église au moment de la consécration, mais à peine dehors, le vent l’emporta dans les nuages avec ses chiens, ses chevaux et ses valets. Depuis, il chasserait sans fin « jusqu’au jour du jugement », n’attrapant « qu’une mouche tous les sept ans ».
  • Dans une légende basque, le même sacrilège est attribué au roi Salomon.
  • En Ille-et-Vilaine, Arthur est décrit comme un seigneur qui quitta l’église au moment du Sanctus pour courir un lièvre. Emporté avec sa meute, il fut condamné à poursuivre cette proie dans les airs, sans jamais l’atteindre.

Dans les Landes comme au pays de Fougères, on raconte encore qu’Arthur court sans cesse, chassant un gibier insaisissable.

D’autres récits mettent en scène des seigneurs dont l’orgueil et la méchanceté envers les paysans se soldent par une condamnation éternelle :

  • En Poitou, le seigneur Gallery, chassant un dimanche de grand-messe, força un cerf jusque dans la grotte d’un ermite. Refusant de s’agenouiller malgré les avertissements, il fut maudit : « Va, Gallery, et poursuis le cerf ; le Tout-Puissant te condamne à le chasser toujours, du coucher du soleil à son lever. »
  • En Ille-et-Vilaine, un seigneur traversa la forêt de Tanouarn avec sa meute alors qu’un recteur portait le viatique à un mourant. Ne s’étant pas découvert, il disparut et fut condamné à errer dans les airs avec ses chiens.
  • Au pays de Retz, c’est le roi David qui, pour avoir chassé chaque dimanche pendant la grand-messe, périt dans le fleuve Tenu et revient hanter les nuits de chasse.
  • Dans le Blésois, la « chasse des Macchabées » met en scène Thibault le Tricheur, comte de Blois, puni pour ses fautes contre l’Église et l’humanité.
  • En Bresse et en Périgord, la légende attribue la « chasse du roi Hérode » à l’expie du massacre des Innocents.

Parfois, la faute n’est pas liée au repos dominical mais à d’autres interdits :

  • En Charente, un chasseur passionné partit à la chasse un vendredi, malgré l’interdiction de manger de la viande ce jour-là. Dieu le suspendit alors en l’air avec ses cinquante chiens. Tous les cinq ans, à minuit, ses hurlements et ses coups de feu résonnent dans la nuit, et les habitants s’exclament : « Prenez garde, c’est l’homme avec ses cinquante chiens qui passe ! »
  • Dans le Bas-Maine, le comte de Valory et le seigneur de la Pihorais, deux chasseurs impies, firent un pacte pour savoir ce qu’il adviendrait après la mort. Après le décès du comte, on vit sa chasse passer dans les airs, son carrosse traîné par des chevaux de feu. Le lendemain, son compagnon fut retrouvé brûlé vif. Depuis, la « chasse du comte de Valory » traverse encore les cieux.
  • En Basse-Normandie, la « chasse Annequin » réunit prêtres et nonnes morts sans pénitence après avoir péché ensemble.
  • Enfin, en Touraine, la « chasse Briguet » prend une forme encore plus inquiétante : des chiens ailés poursuivent les paysans attardés.

Ces récits, ancrés dans la mémoire populaire, rappellent une idée forte : nul ne peut violer les lois sacrées sans en payer le prix. La chasse, passion exaltée mais sacrilège quand elle transgresse les temps saints, devient ici une métaphore de la damnation éternelle.

Les chasses fantastiques ne sont pas toujours menées par des seigneurs maudits ou des héros légendaires. Dans de nombreuses régions de France et jusqu’au Canada, elles sont liées aux âmes en peine, aux sorciers ou aux démons. Ces récits, profondément ancrés dans la mémoire populaire, transforment les bruits nocturnes en processions surnaturelles et effrayantes.

Les traditions associent parfois les chasses fantastiques à des enfants morts sans baptême ou à des âmes tourmentées :

  • Dans la Creuse, la Chasse galière est composée des pleurs d’enfants demandant des prières pour sortir du Purgatoire.
  • En Poitou, ils font partie de la Chasse galopine, où le diable les poursuit chaque nuit.
  • Dans le Maine, la chasse Ankin regroupe des âmes revenant hanter leur ancienne demeure pour réclamer des prières.

Au Moyen Âge, la Mesnie Helquin était directement conduite par Satan, entouré de diables à cheval. Ce thème perdure dans de nombreuses régions :

  • En Saintonge, la Chasse Galerie, ou chasse volante, se composait de chevaux ailés montés par des diablotins et des âmes maudites.
  • Dans le Bourbonnais, la Chasse Gayère — aussi appelée Chasse Maligne — parcourait les airs en silence. Les paysans l’interprétaient comme le diable poursuivant les âmes des mourants.
  • En Berry, la Chasse à Bodet était dirigée par le diable, conduisant les damnés en enfer.
  • Dans le Maine, la Chasse Artu représentait des démons transportant dans les airs le corps d’un réprouvé.

Certaines variantes soulignent le châtiment réservé aux amours illicites. En Basse-Normandie, on croyait au XIXᵉ siècle que lorsqu’un prêtre et une religieuse mouraient sans pénitence, leurs âmes sortaient de leur tombe chaque nuit, poursuivies par des démons et des damnés.

Toutes les figures ne sont pas diaboliques. Dans certaines régions, une dame blanche mène la chasse aérienne :

  • En Périgord, elle apparaît à cheval, vêtue de blanc, sonnant de la trompe pour guider chevaux et chiens ailés.
  • Dans le Jura, une figure semblable conduit sa chasse à travers les nuages, sa robe blanche flottant au-dessus des bois agités.

Dans le Maine, la Chasse Arthur est parfois interprétée non comme une poursuite de gibier, mais comme un véritable sabbat de sorciers, marqué par le tumulte et la confusion.

Si la Bretagne connaît peu de récits de chasses fantastiques, une exception existe près de la baie des Trépassés. Après les tempêtes de mars, on y entend des jappements aériens : les Chass an Gueden, ou chiens des équinoxes. Esprits sortis de l’enfer, ils essaient de regagner le ciel. Mais au fond du vallon des Trépassés, les anciens racontent aux enfants que ce sont plutôt des anges qui pleurent.

Les colons saintongeais et poitevins, partis en Nouvelle-France, ont emporté avec eux la légende de la Chasse Galerie, qui a pris une forme originale au Canada.
Ici, elle se présente sous l’aspect d’un canot d’écorce volant, rempli de possédés. Guidés par Belzébuth, ils partent voir leurs « blondes » à travers les airs. Pour activer le canot, il fallait promettre son âme à Satan, avec une condition : ne pas prononcer le nom de Dieu ni toucher une croix durant le voyage. La barque filait alors plus vite que le vent, avant de ramener ses passagers au point de départ.

Qu’elles soient conduites par des âmes en peine, des diables ou des dames blanches, ces chasses surnaturelles expriment une peur ancestrale : celle des bruits inexpliqués de la nuit. Elles mêlent croyances religieuses, superstitions rurales et imaginaires collectifs, pour donner naissance à l’une des traditions les plus fascinantes du folklore européen.

Les chasses fantastiques, ou chasses aériennes, ne se contentaient pas d’effrayer les paysans par leur vacarme dans les airs. Elles étaient aussi perçues comme des signes annonciateurs de malheurs imminents : guerres, famines, épidémies ou encore morts soudaines.

Autrefois, les paysans redoutaient profondément d’entendre la chasse fantastique. Sa venue était rarement anodine : elle annonçait toujours un événement funeste pour la communauté ou pour une famille.

En Saintonge, la Chasse Galerie était considérée comme un présage certain de catastrophes :

  • la guerre,
  • la peste,
  • la famine.

La peur redoublait quand la chasse descendait jusqu’à terre. Des témoignages rapportent qu’on l’aurait entendue au tout début de la Révolution française :

  • le 14 juillet 1789, jour de la prise de la Bastille,
  • puis en 1792, à la veille de la Terreur.

En Périgord, l’apparition de la Chasse Hérode était le signe d’événements tragiques, surtout lorsqu’elle se rapprochait du sol. Des récits indiquent qu’on l’aurait vue raser la terre à deux reprises, peu avant la Révolution.

En Normandie, la Chasse Caïn, particulièrement signalée autour d’Orbec, annonçait toujours un malheur proche, et plus encore la mort d’une personne déjà en danger.

Ces récits montrent à quel point les chasses fantastiques étaient liées aux grandes peurs collectives. Bruits inexpliqués, phénomènes naturels ou simples illusions ? Peu importait : pour les populations rurales, leur apparition dans le ciel était le signe que la fatalité rôdait tout près.

Si les chasses fantastiques impressionnaient déjà par leurs bruits dans les airs et leurs apparitions surnaturelles, elles inspiraient une terreur encore plus grande par le gibier qu’elles rapportaient. Car il ne s’agissait pas toujours d’animaux sauvages… mais bien souvent de lambeaux humains ou de cadavres arrachés à la tombe.

Dans plusieurs régions de France, la croyance voulait que celui qui réclamait une part de chasse s’exposait à recevoir un présent macabre.

  • En Normandie, Mère Harpine, comme les goules d’Orient, se nourrissait de cadavres déterrés avec ses associés. Malheur à celui qui criait : « Part en la chasse ! » : un lambeau de chair humaine tombait aussitôt par la cheminée.
  • En Berry, un jeune paysan vit choir dans l’âtre un tronçon de chair à demi putréfié.
  • En Bourbonnais, une voix répondit à une demande par un terrible : « Voici ta part ! », avant qu’un bras ensanglanté ne s’abatte sur le foyer.

Les récits populaires multiplient les exemples d’horreurs livrées au seuil des imprudents :

  • En Saintonge, il pouvait tomber du ciel une cuisse de chevreuil ou un quartier de bouc… mais aussi des débris humains.
  • Dans les Ardennes, un bûcheron vit apparaître dans sa hutte un enfant mort-né après avoir réclamé sa part. À Braux, la légende raconte qu’à chaque battue du mystérieux chasseur, un enfant mort-né venait hanter le village.
  • En Vendée, un paysan moqueur trouva le lendemain à sa porte la moitié du cadavre d’une femme.
  • En Normandie, lors du passage de la Chasse de Proserpine, un villageois retrouva une moitié d’homme accrochée à sa porte, qu’il tenta en vain de rejeter à la rivière.

Dans le Morvan, un paysan qui avait assisté malgré lui à la chasse reçut cette terrible promesse :

« Tu as été à la peine, voici ta part de plaisir. »

Peu après, la moitié d’un corps de femme s’écrasa dans sa charrette.

En Poitou, demander une part pouvait vous valoir de recevoir directement sur la tête un membre humain.

Tirer sur ces cortèges était tout aussi dangereux, même avec une balle bénite. En Poitou, un chasseur qui tenta sa chance vit tomber une grosse bête à ses pieds… mais une voix l’avertit aussitôt :

« Rends-moi ma chasse ! »

En Alsace, le Chasseur Nocturne glaçait les vallées de son cri « houdada », suivi du cor et d’un vent tempétueux. Malheur à celui qui répétait son cri : il recevait alors une proie empoisonnée accompagnée de ces mots fatidiques :

« Qui chasse avec moi mange avec moi. »

Une phrase qui signifiait qu’il ne restait plus qu’à se préparer à mourir.

Ces récits montrent que les chasses fantastiques n’étaient pas seulement des apparitions spectaculaires : elles mêlaient toujours une part de menace directe, transformant les curieux en victimes. Accepter ou même réclamer une part, c’était accepter de pactiser avec la mort.

Les chasses fantastiques, ces cortèges surnaturels traversant le ciel, ont longtemps inspiré peur et superstition chez les habitants de nombreuses régions françaises. Des Vosges à l’Alsace, en passant par la Normandie, le Berry et le Poitou, des rituels précis permettent de se préserver de leurs dangers.

Dans les Vosges, si la Maisnieye Hennequin, troupe de musiciens invisibles, passe au-dessus de quelqu’un en rase campagne pendant les nuits d’été, il doit se coucher à plat ventre et invoquer Saint Fabien. Faute de quoi, il risque d’être étouffé, écrasé ou emporté dans un tourbillon vers un pays inconnu. Si la personne est à sa fenêtre, elle doit la fermer rapidement pour éviter de recevoir des morceaux de bois, des cailloux ou même des ossements provenant des cimetières. Une fois la fenêtre fermée, il est possible d’observer la Maisnieye en toute sécurité.

Les voyageurs alsaciens qui rencontrent le chasseur nocturne doivent se coucher au milieu du chemin. Ceux qui négligent cette précaution peuvent être coupés en deux ou emportés dans les airs. Une légende raconte qu’un homme fut emporté du Lerchenfeld près de Saint-Gangolf jusqu’au Bollenberg, mais sauvé après s’être recommandé à la Sainte Vierge.

  • Tracé d’un cercle : En Normandie, lorsqu’on entend la chasse au-dessus de sa tête, il suffit de tracer un cercle autour de soi avec un bâton ou le bras. Les démons ne peuvent franchir cette ligne et doivent demander grâce.
  • Dans le pays fougerais, les chiens de la Chassartue ne peuvent entrer dans un cercle tracé par un homme, bien que ce rituel ne soit pas toujours efficace. Une légende du Haut-Morvan raconte qu’un soldat et un enfant disparurent après avoir tenté de s’abriter dans un cercle.

Un curé de Basse-Normandie, accompagné de son sacriste, entendit la Chasse Annequin près du château de Crèvecœur (Orne). Il dessina un cercle avec sa canne, invita son sacriste à y entrer et s’écria : « Part à la chasse ! » Une grêle d’os humains tomba alors. Les esprits révélèrent qu’ils allaient prendre l’âme d’une femme qui avait fauté avec un prêtre. Le curé intervint, et grâce à la Vierge Marie, la victime fut sauvée.

  • Croix et cercle : En Berry, dès que les voyageurs entendent la chasse à Bodet, ils doivent former une croix avec le premier objet disponible, tracer un cercle autour d’eux et réciter des prières. Les âmes poursuivies par le diable se transforment alors en colombes blanches et s’abattent sur la croix, tandis que les démons s’enfuient.
  • En Poitou, un soldat protégea ainsi un petit oiseau, futur parrainé, en formant un cercle autour d’un mouchoir plié en croix.
  • Alsace : Placer un mouchoir blanc à terre et s’y tenir protège des attaques de la chasse sauvage.
  • Haute-Bretagne : Faire le signe de croix à rebours force la chasse Arthur à remonter dans le ciel.
  • Pays fougerais : Les chiens de la Chassartue ne peuvent rester sur terre plus de cinq minutes, et ce phénomène se produit treize fois par an, une seule fois par lune.

Si les chasses fantastiques collectives sont nombreuses dans les traditions populaires françaises, il existe aussi des personnages isolés qui parcourent seuls le ciel. Ces figures, souvent associées à des bruits mystérieux ou à des présages funestes, sont particulièrement présentes dans l’imaginaire des régions comme la Franche-Comté, l’Ille-et-Vilaine ou encore la Bretagne.

En Franche-Comté, la légende évoque le chasseur éternel de Scey-en-Varais (Doubs). Lors des sombres nuits de Toussaint et de Noël, son oliphant puissant résonne dans le bassin de la Loue. Ce vacarme emplissait jadis l’air d’un bruit formidable, privant de sommeil les vieillards comme les enfants. On croyait alors que ce tumulte provenait du chasseur aérien de la vallée, condamné à parcourir le ciel pour l’éternité.

En Ille-et-Vilaine, les habitants racontent que, lors des belles nuits d’été, le Chariot de David traverse les airs, aussi rapide que le vent, accompagné d’un grand fracas.
Dans la partie bretonnante des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor), on croyait au XIXᵉ siècle que le char de la Mort survolait parfois le ciel, traîné par des oiseaux funèbres. Contrairement au Kar ann Ankou, figure bretonne qui marche toujours sur terre, la Charrette moulinoire – son équivalent en Haute-Bretagne – pouvait s’élever dans les airs avant de disparaître mystérieusement.

Au début du XIXᵉ siècle, les paysans de Voiteur (Jura) parlaient d’une fée qui court par le temps, c’est-à-dire qui traverse les airs. C’est elle qui aurait donné son nom aux fameux « jours de la vieille » : les trois derniers de mars et les trois premiers d’avril. Selon la croyance, cette fée exerce une influence néfaste sur les récoltes, rappelant le rôle des anciens calendriers agricoles dans les superstitions rurales.

À Bruz (Ille-et-Vilaine), on dit qu’un fantôme blanc habite une grotte mais qu’il peut parfois être entendu dans les airs, produisant un bruit étrange et inquiétant.

La Bretagne est particulièrement riche en légendes liées aux êtres surnaturels du ciel :

  • Dans le pays de Bayeux, les huards sont de petits lutins. Leur nom vient des cris perçants qu’ils poussent en traversant le ciel la nuit.
  • Aux environs de Moncontour de Bretagne, le lutin protéiforme Mourioche et sa fille prennent parfois leur envol, s’adonnant à des ébats nocturnes dans les airs.