Les Landes et les Déserts : une terre nue grouillant de maux

Une lande auvergnate

Lorsque l’on évoque les landes et les déserts de France, on imagine souvent des paysages rudes, arides, balayés par les vents et presque inhabités. Ces espaces, considérés longtemps comme incultes et hostiles, n’ont cessé de nourrir l’imaginaire collectif. Leur isolement et leur étrangeté en ont fait le théâtre privilégié de récits fantastiques, où se croisent spectres, dames blanches, animaux surnaturels et parfois même le diable lui-même.

Ces terres solitaires ne sont pas seulement des décors naturels, mais de véritables espaces mythiques. Les traditions orales regorgent d’histoires de fantômes de prêtres, de sabbats de sorcières, de danses macabres, ou encore de trésors cachés sous des mégalithes. Les paysans, les voyageurs ou les rêveurs qui osaient s’y aventurer la nuit racontaient avoir vu des apparitions effrayantes : des feux follets malicieux, des processions d’âmes en peine, ou encore des figures géantes surgissant de l’ombre.

Mais au-delà de la peur, ces récits témoignent aussi d’une fascination. Les landes, avec leurs croix de granit, leurs menhirs et leurs sentiers incertains, sont perçues comme des lieux de passage entre le monde des vivants et celui des morts. Elles rappellent combien le folklore local mêle croyances populaires, mémoire collective et paysages. Entrer dans ces récits, c’est plonger dans un univers où la frontière entre réel et surnaturel s’efface, et où chaque pierre, chaque souffle de vent peut cacher une histoire.

Les landes, avec leur aspect désolé et leurs étendues de bruyères, n’ont pas toujours été perçues comme de simples paysages naturels. Selon les traditions orales, elles sont le fruit d’anciennes métamorphoses, souvent liées à la dureté du cœur humain. Plusieurs récits rapportent qu’autrefois, ces terres stériles étaient des champs fertiles, des villages prospères ou même de belles forêts. Mais l’orgueil, l’avarice ou l’inhospitalité de leurs habitants auraient attiré une punition divine ou surnaturelle, transformant la richesse en désolation.

La pointe de terre occupée aujourd’hui par la lande du cap Fréhel (Côtes-du-Nord) était jadis couverte de belles récoltes grâce à la bienveillance des fées vivant dans les « houles » de la falaise. Mais un jour, le fermier qui profitait de leur protection refusa l’hospitalité à un pauvre voyageur. Celui-ci, qui n’était autre qu’un féetaud – le mâle de la fée – déguisé, se vit rejeté avec mépris. Le lendemain, une vieille femme demanda à son tour la charité. Le fermier la repoussa violemment, mais soudain, elle se transforma en une dame éclatante de beauté qui lui lança :

« Puisque vous avez le cœur si dur, autant vos récoltes ont été bonnes dans le passé, autant elles seront mauvaises dans l’avenir. »

Dès lors, la lande devint stérile et ses terres ne produisirent plus rien.

Une autre légende raconte l’histoire de la lande de Lanvaux, autrefois fertile. Une nuit de pluie, saint Pierre et saint Paul, vêtus en pauvres voyageurs, frappèrent à la porte de la maison la plus riche du pays, celle de M. Richard. Non seulement il leur refusa l’abri, mais il menaça de lâcher son chien sur eux. Les saints trouvèrent finalement refuge chez un humble homme, le bonhomme Misère. En récompense, ils lui offrirent un pouvoir étrange : quiconque monterait dans son pommier ne pourrait en descendre sans sa permission.

Même la Mort fut piégée dans l’arbre. Misère n’accepta de la libérer qu’après qu’elle lui eut promis de l’épargner jusqu’au Jugement dernier. Furieuse, la Mort s’abattit ensuite sur la région, frappant les hommes, les maisons et les arbres. Depuis, la lande est restée aride et désolée (d’après Alfred Fouquet, Légendes du Morbihan).

Marcher dans les landes de Bretagne ou du Cotentin, c’est pénétrer dans un univers à la fois fascinant et inquiétant. Ces mers de bruyères et d’ajoncs, qui s’étendent à perte de vue, possèdent une réputation étrange : elles abriteraient des plantes magiques capables de faire perdre la mémoire des chemins. On les appelle les herbes d’oubli ou herbes d’égarement.

En Bretagne, la croyance en ces herbes mystérieuses est profondément enracinée. Dans le Morbihan, sur la lande de Brandivy, pousse la fameuse herbe d’or, ou lezeuen eur. Quiconque marche dessus après le coucher du soleil est condamné à tourner en rond dans un cercle invisible jusqu’à l’aube. Même en plein jour, son pouvoir d’égarement est redouté.

Non loin de Saint-Mayeux, dans les Côtes-du-Nord, on redoute une autre plante invisible : l’herbe royale. Bien que personne ne l’ait jamais vue, elle est réputée faire perdre la route à tout voyageur, même à cheval. Si le sabot d’une monture se pose dessus, l’animal et son cavalier errent sans fin dans la lande.

La croyance dépasse les frontières bretonnes. En Berry, on parle de l’herbe d’engaire, qui pousserait dans la vaste plaine désolée du Chaumoi de Montlevicq. Quant aux paysans du Cotentin, ils craignent la male herbe. Quiconque la foule voit aussitôt le sentier disparaître, errant comme un navire sans boussole (Jules Barbey d’Aurevilly, L’Ensorcelée, p. 29 ; Jean Fleury, Littérature orale de la Basse-Normandie, 1883) :

« Quand on avait tourné le dos au Taureau rouge et dépassé l’espèce de plateau où venait expirer le chemin et où commençait la lande de Lessay, on trouvait devant soi plusieurs sentiers parallèles qui zébraient la lande, et se séparaient les uns des autres à mesure qu’on avançait en plaine, car ils aboutissaient tous, dans des directions différentes, à des points extrêmement éloignés. Visibles d’abord sur le sol et sur la limite du landage, ils s’effaçaient à mesure qu’on plongeait dans l’étendue, et on n’avait pas beaucoup marché qu’on n’en voyait plus aucune trace, même le jour. Tout était lande. Le sentier avait disparu. C’était là pour le voyageur un danger toujours subsistant. Quelques pas le rejetaient hors de sa voie, sans qu’il pût s’en apercevoir, dans ces espaces où dériver involontairement de la ligne qu’on suit est presque fatal, et il allait alors comme un vaisseau sans boussole, après mille tours et retours sur lui-même, aborder de l’autre côté de la lande, à un point fort distant du but de sa destination. Cet accident, fort commun en plaine, quand on n’a rien sous les yeux, dans le vide, ni arbre, ni buisson, ni butte, pour s’orienter et se diriger, les paysans du Cotentin l’expriment par un mot superstitieux et pittoresque. Ils disent du voyageur ainsi dévoyé, qu’il a marché sur male herbe, et par là ils entendent quelque charme méchant et caché, dont l’idée les contente par le vague même de son mystère.« 

Extrait de l’Ensorcelée, Jules Barbey d’Aurévilly

Heureusement, la tradition populaire offre une solution simple. Dans les Côtes-du-Nord, il suffit de toucher un morceau de bois ou de fer dès que l’on soupçonne avoir marché sur la plante magique. Ce geste rompt l’envoûtement et permet de retrouver son chemin.

Les landes, ces vastes étendues de bruyères et de pierres, fascinent autant qu’elles effraient. Si les forêts abritent parfois des fées et des créatures gracieuses, les landes, elles, sont considérées comme le domaine des esprits malfaisants : lutins, revenants, fantômes géants et apparitions inquiétantes. Dans le folklore de Bretagne, du Berry ou encore de Provence, la lande est un lieu où la nuit déchaîne des forces mystérieuses.

Dans le Morbihan, les landes sont peuplées de lutins qui trouvent refuge tantôt dans les ruines mégalithiques, tantôt dans les broussailles. Ils se cachent le jour, mais une fois la nuit tombée, ils sortent pour danser et égarer les voyageurs. Traverser les landes de Pinieuc après le coucher du soleil est une épreuve : les paysans racontent que des milliers d’ombres s’agitent alors, mêlant leurs clameurs à la brise. Le seul salut est d’atteindre avant minuit une croix de pierre au bord du sentier et d’y réciter ses prières. Sans cela, les feux follets entraînent l’imprudent dans leurs danses infernales.

Dans le Berry, la vaste plaine pierreuse du Chaumoi de Montlevicq est réputée pour ses hantises. La nuit, le passant peut y voir des châsses illuminées, ou même une croix rouge sang qui se met à le suivre dans l’ombre. Les légendes racontent aussi l’apparition de deux longues files de fantômes agenouillés, torche en main, vêtus de sacs enfarinés. Ce seraient les âmes en peine des meuniers malhonnêtes de l’Igneraie, condamnées à jeter sans fin une farine brûlante au visage des voyageurs. À la croisée des chemins, une parcelle porte encore le nom de Champ à la Demoiselle : on y apercevrait une immense silhouette féminine qui grandit sans fin à mesure qu’on s’en approche, avant de disparaître dans l’air.

Les landes, déjà réputées pour abriter lutins et revenants, sont aussi le théâtre de visions plus troublantes encore : prêtres fantômes sans tête, dames blanches ensanglantées et créatures démoniaques qui tourmentent les voyageurs. Dans le folklore breton, normand et ligérien, ces apparitions nocturnes rappellent que la lande est un lieu de passage entre le monde des vivants et celui des âmes errantes.

Autour de Paimpont, on racontait qu’un prêtre fantôme apparaissait sur la lande, prêt à célébrer la messe, avec des cierges allumés à ses côtés. Il poursuivait les voyageurs, semblant quémander quelque chose. Mais peu importait la vitesse de leur fuite, il restait toujours à leurs côtés… jusqu’à ce qu’on fasse dire des messes pour le repos de son âme. Dès lors, il disparut. Non loin de là, sur la lande de la Longue-Raie à Saint-M’Hervon, un homme incrédule entendit une clochette de messe résonner dans la nuit. Surgit alors un prêtre sans tête, vêtu de ses ornements sacerdotaux, entouré de cierges portés par des mains invisibles. Une vision glaçante qui marqua à jamais le village.

Dans la lande de Vigneux (Loire-Inférieure), on dit qu’une femme sans tête traverse les bruyères sans plier un seul ajonc. Arrivée au carrefour de la Hutte au Broussay, elle attend qu’une bique noire aux yeux de feu surgisse, tenant entre ses dents une tête coupée. La femme tente de la rattraper, mais la chèvre se met à bondir en cercles. Des cris retentissent, et bientôt chats-huants et putois tourbillonnent dans cette ronde diabolique.
Un paysan, revenant tard de la foire, s’en trouva piégé : malgré lui, il se mit à tourner avec la troupe infernale, jusqu’à ce que le petit jour chasse enfin la vision.

À Elven, la dame blanche erre la nuit, vêtue d’une robe tachée de sang. Elle retrouve l’âme de son bien-aimé, un officier mort en la défendant. Ensemble, ils échangent des mots d’amour que nul n’ose troubler. En Basse-Normandie, presque chaque lande possède sa dame blanche. La plus célèbre est la Demoiselle de Tonneville. De son vivant, elle déclara :

« Si après ma mort j’avais un pied dans le ciel et l’autre dans l’enfer, je retirerais le premier pour avoir toute la lande à moi. »

Depuis, elle hante ces terres, égarant les voyageurs. Une légende raconte qu’un cavalier, séduit par sa beauté, l’invita à monter en croupe. Quand il voulut l’embrasser, elle lui montra des dents monstrueuses avant de disparaître, le laissant dans les eaux de l’étang de Percy.

Une légende bretonne singulière évoque une demeure fantastique où trois revenantes expient leurs fautes. Un charbonnier, perdu dans une lande, aperçut une lumière et entra dans une cabane. Trois femmes l’y accueillirent :

  • l’une cuisinait des crêpes qui disparaissaient aussitôt,
  • la seconde avalait un os qui ressortait sans fin par sa nuque,
  • la troisième comptait de l’argent, se trompant toujours.
    Elles lui offrirent nourriture et argent, mais il refusa. Aussitôt, tout s’évanouit. Plus tard, un vieillard lui révéla que ces âmes accomplissaient une pénitence : l’une travaillait le dimanche, la seconde gardait la viande pour elle et ne donnait que les os, la troisième volait sans scrupules.

Les landes, déjà réputées pour leurs prêtres fantômes, dames blanches et lutins, sont également le théâtre de danses macabres et de rassemblements spectaculaires de morts. Ces traditions populaires, transmises de génération en génération, révèlent combien la nuit transforme ces paysages déserts en scènes où se mêlent le surnaturel et le mystère.

Dans le pays de Vaud, les morts se réunissent parfois en foule sur les landes désertes pour exécuter la coquille, une danse sinueuse qui entraîne tous ceux qu’elle croise. Le spectateur imprudent, témoin de cette ronde funèbre, aperçoit souvent le spectre d’un vivant qui doit mourir bientôt, et parfois il reconnaît lui-même dans cette chaîne macabre le personnage principal de la danse.

Un conte d’Auvergne raconte qu’au coup de minuit, des milliers de petites âmes en peine apparaissent sur la lande à une jeune fille réfugiée. Elles dansent autour d’elle en chantant un refrain. Lorsque la jeune fille ajoute deux vers, les esprits lui offrent des présents. Après plusieurs visites, elle termine leur cantique et, grâce à son intervention, les âmes lui annoncent que leur pénitence est achevée.

Les landes bretonnes ne sont pas seulement peuplées de dames blanches et de lutins : certaines âmes punies reviennent sous forme animale pour expier leurs fautes. Ces récits, issus du folklore local, montrent combien le lien entre péché, châtiment et nature sauvage était ancré dans l’imaginaire rural.

Sur la lande Minars à Clohars-Carnoët (Finistère), les notaires et procureurs injustes errent après leur mort, changés en vieux chevaux. De même, la demoiselle d’Heauville se promenait sur la lande qui porte son nom, prenant parfois l’apparence d’une jument d’une ferme voisine. Approchant un paysan qui croyait reconnaître son animal, elle galopait pour le faire courir après elle, transformant ainsi une scène quotidienne en moment de frayeur surnaturelle.

En Basse-Bretagne, certaines âmes pénitentiellement errantes prennent la forme de souris blanches ou de moucherons, et se posent sur les arbres rabougris et les ajoncs nains des landes. En Haute-Bretagne, d’autres se manifestent sous l’apparence de papillons, errant autour des ajoncs lorsqu’elles n’ont pas trouvé de repos ailleurs. Les contes bretons mentionnent souvent la lande des Morts, où les défunts, sous forme ailée, circulent pendant des siècles, chacun autour de sa tige d’ajonc ou d’aubépine.

Les landes ne sont pas seulement le domaine des lutins et revenants : elles accueillent aussi des êtres liés à la lycanthropie et à des métamorphoses surnaturelles temporaires. Ces créatures frappent par leur capacité à troubler les voyageurs et à transformer des scènes ordinaires en véritables expériences fantastiques.

En Basse-Normandie, la Faulaux est une sorte d’esprit prenant l’apparence d’une lanterne pour égarer les passants et les conduire dans des bourbiers. Elle déteste particulièrement le sifflement : un raccommodeur de vans, surpris dans les landes de Lougé, s’avisa de siffler. La Faulaux accourut pour le punir. Le travailleur se jeta à terre et se couvrit de son van, mais elle frappa avec tant de violence que la pointe d’une alène traversa ses osiers. Plus le sang coulait, plus elle croyait frapper l’homme, criant : « Petit, mon pauvre petit ! » Quand elle réalisa la vérité, elle se mit à geindre et répondit à la question du raccommodeur : « Qui es-tu ? » par ces mots : « Je suis Marie, ta tante. »

En Vendée, les garous se rassemblaient parfois au coin des landes pour festoyer et récupérer leurs forces après leurs métamorphoses. Une nuit, un curé passant par là les fit s’enfuir, et la batterie de cuisine qu’ils avaient abandonnée fut vendue aux enchères le dimanche suivant. À Avessac (Loire-Inférieure), les landes des Melleresse étaient particulièrement réputées pour ces rencontres dangereuses.

Les landes et les espaces incultes de France ont longtemps été perçus comme des lieux dangereux et mystérieux, propices aux forces surnaturelles. Leur isolement et l’aura de crainte qui les entoure en ont fait des terrains de prédilection pour le diable et ses acolytes. Dans les Basses-Pyrénées, le Morbihan, la Loire-Inférieure ou encore d’autres régions, ces lieux désertiques étaient réputés pour accueillir les sorciers et sorcières lors de leurs réunions nocturnes, notamment à l’époque où la sorcellerie était florissante.

Le célèbre démonologiste Jean Bodin (De la démonomanie des sorciers) rapporte qu’un habitant de Loches en Touraine menaça sa femme de mort lorsqu’elle quittait la maison la nuit. Elle lui avoua se rendre au sabbat et lui proposa de l’y emmener. Selon le récit, ils se graissèrent tous les deux, et le diable les transporta à travers l’espace, de Loches jusqu’aux landes de Bordeaux.

Ces réunions, souvent appelées sabbats, avaient lieu dans diverses régions. La Grande Lande était réputée pour accueillir tous les sorciers de la Gascogne et des alentours. Dans le pays basque, le lieu du sabbat portait le nom d’Akhelarre, la « lande du bouc ». Près de La Hague, les sorciers, parfois transformés en animaux, s’y rassemblaient, produisant des bruits étranges comparables à ceux d’animaux querelleurs. Dans la région girondine, la lande d’Arlac était également célèbre pour ses réunions nocturnes. Les participants y cueillaient certaines herbes, réputées pour inspirer l’amour ou soigner des maladies, et que l’on ne trouvait que là.

En Armagnac, les landes d’Urgosse, la plaine de Midour et celle du Catalan étaient également des lieux de rassemblement pour les sorciers. En Auvergne, les fatsillières dansaient en cercle au milieu des bruyères et des ajoncs, mais toute participante qui sortait du cercle magique était frappée de paralysie. Les Basques racontaient que les Mairiac et les Lamigna se réunissaient chaque semaine sur la lande de Mendi, tandis qu’en Périgord, les invocations au diable se faisaient surtout dans les landes de Lomagne, où une esplanade en friche se nommait Lou Soou de las fadas ou de las fajilieras.

Les landes désolées de France ne sont pas seulement le domaine des esprits et revenants : elles sont également hantées par des animaux fantastiques, porteurs de présages. Dans les landes de Kerprigent, à Saint-Jean-du-Doigt (Finistère), erre une biche blanche, inquiétante et insaisissable. Elle suit les passants qu’elle rencontre, sans jamais leur faire de mal, mais sa présence annonce toujours de grands malheurs. Si elle croise une jeune fille et lui barre le chemin, cette dernière se mariera rapidement mais mourra avant l’année écoulée. Si elle accompagne la jeune fille, elle ne se mariera jamais. Pour une femme mariée, elle présage la mort du mari, et pour une veuve, un deuil ou une perte financière. Chez les jeunes hommes, elle annonce mariage ou malheur familial selon l’âge. Ce fantôme animal est si redouté que presque tous ceux qui l’ont aperçu sont morts, selon la tradition. La chienne noire du Menez, dans les montagnes bretonnes, était également considérée comme un présage de malheur.

D’autres récits font état de batailles animales annonciatrices de grands événements. En Haute-Bretagne, on racontait avant la Révolution que des batailles de chats et de rats se déroulaient sur les landes du Mené et de Meslin, laissant certains animaux blessés. Un canton des landes de la Dordogne porte d’ailleurs le nom de Cimetière des chats, peut-être en référence à une telle légende. Une autre tradition bretonne rapporte qu’avant d’entamer une bataille, l’armée des rats et celle des chats furent détournées par leur capitaine, qui leur suggéra plutôt de brûler un vieux moulin voisin.

Pour protéger les voyageurs et conjurer ces hantises, les habitants dressaient des croix de granit sur les points culminants des landes. Ainsi, autour de la croix de la lande de Brun à Plémy, les possédés ne pouvaient s’approcher sans y être délivrés. Le menhir de la lande de la Croix-Longue, près de Guérande, fut transformé en croix pour chasser sorciers et sorcières. De même, sur la lande de Tiron, près de Bains (Ille-et-Vilaine), une croix fut érigée au centre du cercle formé par les sorciers lors de leur ronde nocturne. Ces repères sacrés servaient à la fois de protection et de guide pour ceux qui s’aventuraient dans ces territoires redoutés.

Tout comme les maquis corses, certaines landes françaises ont servi de refuges aux proscrits et aux brigands. Ces espaces isolés et difficiles d’accès offraient un abri idéal pour ceux qui fuyaient la justice. Si la mémoire populaire a peu conservé de récits précis sur leurs exploits, une légende persiste dans la vaste lande de Lanvaux, dans le Morbihan, célèbre au début du XVIIᵉ siècle pour abriter des voleurs notoires.

Selon cette tradition encore vivace, Keriolet, célèbre pour ses méfaits avant de se tourner vers la pénitence, se mêlait aux brigands avec son ami Bonimichel. Un jour, ce dernier le défia à la course, disparut soudainement sous terre et alla festoyer avec ses compagnons hors-la-loi. Ce récit illustre parfaitement comment les landes, par leur isolement, nourrissaient légendes et superstitions liées aux marges de la société.

Ces histoires rappellent que les landes ne sont pas seulement des territoires hantés par des esprits et des animaux fantastiques : elles ont aussi été le théâtre de réalités humaines où danger et marginalité se mêlaient aux mythes et croyances locales.

Les landes françaises sont depuis longtemps associées à des richesses enfouies. La tradition veut que la plupart de ces trésors se cachent sous les mégalithes, témoins silencieux des âges passés. Cependant, certaines légendes évoquent des exceptions bien particulières.

C’est le cas du sire de Changé, qui aurait déposé un trésor dans un trou de la lande de Clairay en Ille-et-Vilaine. Selon la croyance populaire, le diable en assure la garde. Chaque fois qu’un intrépide tente de s’emparer de ce butin, le sire apparaît monté sur son grand cheval noir, empêchant toute intrusion et rappelant les dangers qui guettent les curieux dans ces espaces solitaires.

Ces récits montrent à quel point les landes sont à la fois mystérieuses et redoutées, mêlant folklore, superstition et trésors légendaires, et continuent d’alimenter l’imaginaire populaire.